Sarvam Kalvidam Brahman « Tout dans cet univers est Brahman »

Une formule bien connue des Upanishads affirme : Sarvam Kalvidam brahman, « en vérité, tout cet univers (ou tout dans cet univers) est Brahman », est l’unique et éternelle Réalité suprême.

Concrètement et immédiatement, même si cette réalisation vous paraît lointaine, tout ce qui vous apparaît désastreux, déplorable, anti-spirituel n’en est pas moins une expression ou une manifestation de cette Réalité ultime. Et refuser les conditions dans lesquelles vous vous trouvez, vivre en porte-à-faux avec ce qui fait la réalité de votre existence ne peut pas constituer un chemin de libération.

Il y a différents points de vue, différents angles de vision de la vérité. Certainement le monde moderne qui a donné la primauté à l’avoir sur l’être est pathologique, la société entière est devenue divisée, schizophrène, mais c’est dans ce monde que vous vivez et, tant que vous ne l’avez pas quitté, une attitude négative vis-à-vis de ce monde ne pourra en rien vous faire progresser. Le principe qui doit toujours vous guider est celui-ci : « Pas ce qui devrait être, mais ce qui est. » Et seulement ce qui est, dans le relatif, peut vous conduire à ce qui est dans l’absolu. Il n’y a pas d’autre chemin. Ceux qui se contenteraient d’avoir une attitude critique vis-à-vis de ce monde moderne, de le refuser, de superposer ou surimposer sur leurs conditions réelles de vie un rêve ou une nostalgie d’autre chose ne pourraient pas progresser et tourneraient même le dos au chemin de la vérité.

D’un point de vue, il y a une différence certaine entre ce qui est sacré et ce qui est profane et vous avez le droit de voir clair, de distinguer ce qui dans le monde manifesté vous aide à trouver votre Centre, à trouver le Royaume des Cieux, qui est au-dedans de vous, et ce qui vous apparaît au contraire comme des conditions plus difficiles ; mais c’est vrai seulement d’un point de vue. Du point de vue ultime, toutes ces distinctions, même entre profane et sacré, s’effacent et chaque instant de la réalité est sacré. Du point de vue ultime, il n’y a pas de différence entre l’abbaye de Vézelay et le centre Georges-Pompidou. Tout est expression ou manifestation de la grande Réalité. Et, s’il y avait une distinction à faire, elle serait entre deux niveaux de réalité ou de vérité, le niveau manifesté, apparent, toujours changeant, celui de la multiplicité, et le niveau non manifesté, non changeant, celui de la Conscience suprême ou de l’Atman, du Soi, du Vide des bouddhistes mahayanistes, la seule Réalité qui soit immuable, non dépendante, jamais affectée.

Et le deuxième principe qui doit vous guider est bien connu car on le cite autant comme une parole zen, une parole soufie, une parole chrétienne ou une parole hindoue, c’est : « Ici et maintenant ». Ici et maintenant, au sens le plus strict de ces deux mots, ne veut pas dire « maintenant au xx° siècle, sans nostalgie d’une belle époque à jamais disparue », mais dans l’instant, dans la seconde même que je suis en train de vivre, et ici veut dire exactement là où moi je me trouve situé. Ce ici et maintenant est aussi infime dans le temps et dans l’espace qu’un point. Et, si vous quittez le ici et maintenant, le mental peut repartir dans de grandes constructions brillantes et vous arracher à la réalité qui est votre seul point d’appui et votre seule possibilité de découvrir ce que vous cherchez. Je tiens à insister là-dessus pour qu’une dénonciation même impitoyable du monde moderne ne vous engage pas dans une fausse voie. Si vous pouvez vivre dans un monastère, au moins de temps en temps, faites-le, et si vous pouvez vivre dans une communauté de soufis, faites-le. Vous y serait en effet soumis à des influences tout autres que celles qui composent votre existence. Mais ne rêvez jamais stérilement d’autre chose que ce qui est. Et n’oubliez pas que votre progression ne peut s’effectuer ailleurs que dans les conditions précises qui sont les vôtres à un moment donné. Sinon, il y aura nostalgie, rêverie mais aucun chemin réel. Et tant que vous n’êtes pas en mesure de quitter ce monde moderne, profane, matérialiste, acceptez-le, adhérez, ne projetez pas une réalité de votre invention sur la réalité telle qu’elle est.

Si vous pouvez contribuer à modifier les conditions de votre existence, faites-le. Si vous pouvez contribuer à redonner un certain souffle spirituel à ce monde moderne, faites-le, selon vos capacités, mais méfiez-vous de votre propre ego et de votre propre mental. C’est au-dedans de vous que se trouvent les forces qui peuvent vous maintenir dans le sommeil ou vous aider à vous éveiller. Plutôt que de déplorer les conditions matérialistes d’une société fondée sur l’avoir et regretter les conditions plus spirituelles d’une société fondée sur l’être, soyez dans la vérité de votre société à vous, qui n’est pas autre chose que celle où vous vous trouvez à l’instant même, et soyez vigilants par rapport à toutes les productions et projections de votre propre mental.

Je comprends bien- je le comprends d’autant mieux que je l’ai éprouvé et partagé – que puissent naître chez certains le refus d’un monde matérialiste et une intense aspiration à un monde différent qui serait vraiment le témoignage conscient, dans cette vie du changement et de la multiplicité, de l’autre niveau, celui de l’éternité comme celui de l’unité et de l’infini. Cette nostalgie m’a animé pendant des années : je ne lisais qu’un certain type de livres, je ne voulais voir qu’un certain type d’œuvres d’art, je ne recherchais qu’un certain type d’architecture et je finissais par ne plus trouver d’intérêt qu’aux êtres humains qui pensaient comme moi, c’est-à-dire qui avaient découvert l’enseignement de Gurdjieff ou Ramana Maharshi ou le bouddhisme zen.

Il y a là un piège subtil d’autant plus grave qu’il se présente comme un choix spirituel : refuser le matérialisme pour donner la place à l’esprit. C’est un mensonge qui consiste à rester dans votre monde à vous et à nier simplement ce que vous n’aimez pas. La véritable liberté se situe au-delà de toutes les oppositions, de toutes les polarités et même de toutes les distinctions. Elle s’exprime dans ces mots sanscrits : sarvam kalvidam brahman, « tout dans cet univers est Brahman », tout.

Arnaud Desjardins

La voie du cœur (p 42 à 45).

Editions : Pocket, Spiritualité

Amitiés

Claude Sarfati

A.Desjardins fait zazen avec Taisen Deshimaru

deshimaru

Le mot japonais « zen » et le mot chinois « ch’an » qui définissent des écoles du bouddhisme, viennent du sanscrit dhyana et signifient « méditation ». La saveur du zen se confond donc avec l’esprit de la méditation assise préconisée par le Bouddha. Tous les grands maîtres de cette tradition ont toujours prétendu que les êtres humains se devaient de guérir, de pacifier leur propre esprit et que, dans cette démarche-là, se trouvait la solution des maux de l’humanité.

 

Dans cet entretien effectué peu avant sa mort en 1982, le grand maître zen nous parle de la méditation comme voie pour équilibrer notre entité psychosomatique aux prises avec les pollutions extérieures et intérieures. Ce mondo privé (questions-réponses) eut lieu un soir dans son appartement. Nous avons tenu à garder, dans la traduction de son anglais, toute la saveur abrupte de ce qu’il appellait son « zenglish ».

Nouvelles Clés : Quel est l’acte qui importe le plus dans le zen ?

Maître Taïsen Deshimaru : La posture. C’est la posture de méditation qui est la plus importante. Le zazen.

N. C. : Pourtant, il est dit que le zen n’a rien à voir avec la position couchée, assise ou debout ?

T. D. : Oui, l’esprit du zen transcende toutes les catégories. Mais on dit aussi que le zen, c’est zazen, que la posture elle-même est satori, éveil.

N. C. : Pouvez-vous expliquer cela ?

T. D. : Nous sommes sans cesse en train de courir, de penser, d’errer à la recherche de quelque chose.

Se mettre dans la posture, faire zazen, permet d’arrêter le mouvement, de stopper le processus de fuite en avant, ce processus qui fait que l’on se retrouve à l’heure de sa mort en ayant gâché sa vie dans l’illusion de la vivre.

N. C. : Le zen, c’est donc l’arrêt du geste ?

T. D. : Avant tout il faut arrêter les habitudes, stopper le déroulement du karma, cet enchaînements des causes et des effets dans notre vie quotidienne, le laisser filer loin de nous comme des nuages filent au-dessus de la montagne sans jamais l’emprisonner. Une partie du malheur de l’humanité vient du fait que les gens ne savent pas se libérer de l’emprise de leur karma, de l’attachement à leur histoire personnelle.

N. C. : Mais le karma, c’est aussi la famille, le enfants, les amis, le travail. On ne peut abandonner tout cela…

T. D. : Il ne s’agit pas d’abandonner mais de lâcher prise… Quand on dit que les moines doivent abandonner leur famille cela ne veut pas dire qu’ils doivent la laisser mourir de faim. Non. Il s’agit en fait de ne plus être attaché à l’esprit des choses, d’avoir une certaine distance par rapport aux émotions qu’elles suscitent. La compassion n’est pas sentimentalisme geignard, mesquin et confortable mais vrai amour qui aide. Et puis le karma est à l’oeuvre dans notre cerveau : karma du passé, du présent et du futur s’y mélangent, donnent une vraie soupe nauséabonde ! Vous connaissez l’histoire de la vieille vendeuse de gâteaux qui dit au jeune moine qui veut lui en acheter un : « Avec quel esprit allez-vous manger ce gâteau ? Avec l’esprit du passé, du présent ou du futur ? » Le jeune moine s’enfuit car il est trop sot pour répondre ! Le karma est aussi créé par le trop-plein de pensées, de désirs, de rêves qui s’agitent dans nos têtes. La plupart des gens font ainsi plus de sexe avec leur tête qu’avec leur bol ou leur bâton ! (rire tonitruant).

La posture immobile permet de couper le karma : Je dis toujours : Laissez passer les pensées comme les nuages dans le ciel, laissez passer, passer, passer… Il faut épuiser le trop-plein de pensées, alors le cerveau peut recevoir de nouvelles informations. Une bouteille pleine ne peut plus rien contenir ; une bouteille vide, oui. Mais pour bien laisser passer, il faut se concentrer sur la pos- ture de méditation : dos droit, bassin basculé, nuque droite, pouces qui ne doivent faire ni montagne ni vallée, yeux mi-clos, se concen- trer sur l’expiration la plus longue possible jusque dans le hara, le kikai tanden, l’océan de l’énergie qui se situe dans l’abdomen. Vos postures ne doivent pas être comme des bou- teilles de bières éventées ! Elles doivent être fortes, riches, belles, alors l’harmonie en vous, la sagesse apparaît. La vraie sagesse se trouve dans l’effort de l’immobilité. L’effort juste est le plus important.

N. C. : Quelle différence y a-t-il entre le raja yoga et le zazen ? C’estfinalement toujours de la méditation, jambes croisées en lotus ou demi-lotus !

T. D. : La différence ? C’est le coussin ! (rire). Ce n’est pas une plaisanterie. C’est le zafu, le coussin rond que l’on met sous ses fesses ! Ce simple coussin permet d’équilibrer complètement la posture, de l’ancrer dans le sol, les deux genoux touchent la terre, le coussin donne tout son sens à la beauté de l’assise. Essayez de croiser les jambes en lotus sans coussin et vous verrez la différence. Il y a toujours un genou qui se soulève, même légèrement, et toute la posture n’est pas aussi belle. Ni aussi efficace.

N. C. : Oui. Cette invention du coussin remonte d’ailleurs au Bouddha qui demanda un jour à un paysan qui fauchait son champ de lui couper de l’herbe sala, une herbe très souple, pour s’en confectionner un siège permettant d’équilibrer l’assise.

T. D. : Vrai. Vrai (True. True). Bouddha a trouvé la voie du milieu. Il avait vécu une vie de prince trop molle, puis une vie d’ascète trop exacerbée, il comprit que seul un juste équilibre permettait de trouver sa vérité propre. Ce n’était pas un hystérique comme beaucoup de spiritualistes !

N. C. : Un instrument de musique doit être justement accordé pour faire de la musique, l’histoire estfameuse…

T. D. : Oui. Et notre corps est comme un ins- trument de musique qu’il faut savoir accorder pour bien jouer la vie. Pour apprendre à « négocier la Voie », dit-on dans le zen.

N. C. : Quels sont les grands reproches que vous faites à nos contemporains ?

T. D. : D’être trop faibles (too weak).

La pos ture de méditation peut les rendre forts. C’est la civilisation qui les rend faibles, il y a trop de tout, trop à manger, trop de bruit, trop de publicité, trop d’images, trop de sexe ; trop, trop. Tout le monde est intoxiqué, hystérique, la voie naturelle est oubliée…

N. C. : Comment voyez-vous l’avenir ?

T. D. : Beaucoup de destructions, toujours davantage de pollutions. L’espèce humaine ne pourra se sauver que par la sagesse. La sagesse doit s’élever de l’humanité.

N. C. : Le simple fait de pratiquer zazen peut- if aider à réaliser cela ?

T. D. : Sur le plan personnel, certainement. Sur le plan collectif, le grain de sable de la sa- gesse peut enrayer la machine emballée. Peut- être… (Maybe…) Il faut le croire, fortement (strongly), il faut pratiquer, fortement. Une posture juste influence le monde entier… (silence) …comme un sourire influence tout le monde autour de vous. Il y a une grande différence entre les réactions suscitées par un sourire ou celles déclenchées par une insulte. Faire gassho (saluer les mains jointes) est mieux que dresser le poing ! Et une main ouverte saisit plus que qu’un poing fermé…

N. C. : Vous êtes donc confiant ?

T. D. : A la fin (at to the last) toutes les bulles d’air à la surface d’un cours d’eau font « plop » et reviennent se fondre à ce cours d’eau. Alors… ce n’est pas la peine de se poser trop de questions : comment va finir l’humanité, comment vais-je mourir, combien de temps mes enfants vont-ils vivre, comment vais-je survivre, quand est-ce que je vais rencontrer la femme de ma vie, quand est-ce qu’un homme va coucher avec moi… Quand, comment, pourquoi, on se torture sans cesse avec des questions inutiles. L’important est l’action : ici et maintenant, agir. La réponse aux questions vient toujours assez vite. La vie est comme une ligne faite de points. Chaque instant est un point. Plus chaque instant est vécu fort, plus les points, et donc la ligne, sont forts. Il faut tracer sa vie, fortement. La posture de médi- tation aide, c’est tout. Elle aide à guérir le corps et l’esprit.

N. C. : Vous dites aussi souvent que faire zazen, c’est entrer dans son cercueil. Qu’ est-ce que cela veut dire ?

T. D. : C’est votre koan ! (rire tonitruant).

N. C. : Je peux y répondre ?

T. D. : Certainement.

N. C. : Voilà. Dans la posture on retrouve un état qui existe avant notre naissance et après notre mort. On ressent un vide qui préexiste à notre existence. Si on devient vide (ku) on rejoint l’énergie primordiale (ki). C’est ça ?

T. D. : Comme vous voulez ! N’oubliez jamais cette phrase de l’Hannya Haramita Shingyo(le sutra de la Grande Sagesse que l’on chante souvent dans les dojos zen, à la fin des zazen du matin) :

Ku soku ze shiki

Shiki soku ze ku

Le vide crée le phénomène

Le phénomène créé le vide.

Il faut voir au-delà de la dualité. Au-delà du par-delà…

N. C. : Sensei, vous dites souvent que les gens sont trop égoïstes. Comment remédier à cela ?

T. D. : Par la pratique de la méditation, par le zazen, les bonnos (illusions, travers, défauts) décroissent naturellement, inconsciemment, automatiquement. Regardez-vous : avant, vous ne pensiez qu’à vous, maintenant vous faites des livres pour les autres (rires) ! Les Occidentaux ont cru jusqu’à maintenant que le zen est une philosophie intellectuelle. Or, au contraire, pratiquer le zen consiste à penser avec son corps, c’est unir le corps et l’esprit, c’est une sagesse du corps. Ch’an, zen, dhyana, zazen, tous ces mots définissent la méditation qui est pratique de tout le corps. Ainsi peut-on équilibrer les deux cerveaux. L’être moderne est gravement malade : la pratique de la méditation peut l’aider à devenir sain. Ce n’est pas la peine de s’enfuir dans une grotte dans la montagne pour cela. La posture elle-même est la grotte et la montagne. Où que vous soyez existe la vraie liberté, celle du poisson dans l’eau ou de l’oiseau dans le ciel. Mais on peut amener un cheval à la rivière, c’est à lui de boire… Transformer son karma reste l’affaire de chacun !

À lire :

Sur les pas du Bouddha, ouvrage qui retrace la vie, la philosophie du Bouddha et le voyage que Marc de Smedt fit sur leurs traces en Inde, éd. Albin Michel, coll. Espaces Libres Poche.
Zen et psychosomatique, par maître Deshimaru et le professeur Ikemi, éd. Albin Michel.
Les autres ouvrages majeurs de maître Deshimaru : La pratique du zen, Zen et Arts martiaux, Zen et vie quotidienne, L’anneau de la voie…, se trouvent en poche chez Albin Michel dans la collection Spiritualités Vivantes.

Guérir l’esprit

Entretien avec Taisen Deshimaru, propos recueillis par Marc de Smedt

Source : Nouvelles clés.

Bonne lecture, bonne écoute: Claude Sarfati

Suis-je dans mon assiette ?

les nourritures 1

 

Il existe un hexagramme dans le Yi King composé de deux traits Yang (premier et dernier traits) et de quatre traits Yin (au milieu). Cet hexagramme (GUA en Chinois) symbolise une bouche, il s’appelle : Yi : La nourriture ou Les commissures des lèvres. Il y est question de l’importance de ce dont on se nourrit.

027.Yi

Pour commencer cette nouvelle série d’articles autour de notre savoureuse « cuisine » je vous propose une réflexion d’Arnaud Desjardins sur ce sujet :

…Une femme : Vous avez évoqué les différents corps grossiers et subtils et les aliments favorables et défavorables pour les différentes parties de l’être humain. Je peux le comprendre à un niveau physique. Cela m’est beaucoup plus difficile de distinguer quelle est la nourriture qui peut m’être profitable sur le plan émotionnel. Par exemple, comment me positionner lorsqu’un proche est agressif ? Est-ce que cela est nocif pour moi ou pas ?

Arnaud : L’absorption, la digestion et l’assimilation des nourritures est un thème essentiel dans les grandes traditions spirituelles, un thème ésotérique. La tradition hindoue à laquelle je me réfère le plus souvent nous a transmis cette expression : sarvam anam, « tout est nourriture », ainsi qu’une formule que je soumets à votre réflexion : « l’existence consiste à se nourrir au niveau physique, culturel, artistique mais à quoi ou à qui est-ce que je sers de nourriture ? Une autre formule nous entraîne encore plus loin : « L’atman (la réalité ultime en nous) est ce qui ne mange rien et qui n’est mangé par rien ».

Mais revenons à l’expérience concrète. Comment est-ce que j’absorbe les nourritures, comment est-ce que je les digère, comment est-ce que j’élimine ce qui ne peut pas être assimilé ? En ce qui concerne le processus physiologique de la digestion au cours duquel l’organisme transforme les aliments en nutriments et sélectionne les éléments assimilables ou non, pourrait-il y avoir une différence selon que j’absorbe les nourritures en état de présence à moi-même ou sans attention particulière ?…

Page 205 : Les nourritures subtiles

La traversée vers l’autre rive (Rencontres au Mexique)

Arnaud Desjardins , Véronique Desjardins

Editions Accarias L’ORIGINEL

Bon appétit: Claude Sarfati.

Se nourrir en conscience

nourriture paon

Voici la suite de la réflexion d’Arnaud Desjardins sur les  nourritures, régalez-vous :

…Mais revenons à l’expérience concrète. Comment est-ce que j’absorbe les nourritures, comment est-ce que je les digère, comment est-ce que j’élimine ce qui ne peut pas être assimilé ? En ce qui concerne le processus physiologique de la digestion au cours duquel l’organisme transforme les aliments en nutriments et sélectionne les éléments assimilables ou non, pourrait-il y avoir une différence selon que j’absorbe les nourritures en état de présence à moi-même ou sans attention particulière ? Tous les diététiciens s’accordent sur le fait que si nous mâchons la nourriture au lieu de l’avaler directement cela facilite la digestion, ce que chacun d’entre nous aura constaté par lui-même. Du point de vue des enseignements dont nous nous réclamons, la réponse est qu’il y a une immense différence en ce qui concerne la digestion et l’assimilation des différentes nourritures suivant que nous les absorbons mécaniquement, dans l’identification ou, au contraire, en état de présence, de pleine conscience. Est-ce que je mange mon repas distraitement, sans même m’en rendre compte tant je suis intéressé par la conversation autour de moi ou tant je suis impatient de prendre la parole pour dire ce que, mécaniquement aussi, j’ai envie de dire ? Suis-je en train de ruminer des pensées qui entretiennent une émotion ? L’absorption a donc des conséquences sur l’ensemble de la digestion mais c’est un domaine dans lequel nous avons une marge de manœuvre. Nous pouvons peu à peu devenir de plus en plus attentifs, présents, cette conscience prenant appui sur  la réalité de l’instant : « Je suis conscient que je suis en train de manger des pommes de terre ».

Venons-en maintenant à l’étape suivante qui est celle de la transformation et de l’assimilation des aliments. En Inde, une formule célèbre dit : « la même céréale donne des muscles au taureau et des plumes multicolores au paon ». Nous transformons toutes les nourritures en nous-mêmes. Cela paraît évident et pourtant mérite notre réflexion. Nous n’avons pas à commander à notre foie, à notre estomac, à notre pancréas de fonctionner. La nature accomplit tout cela à travers nous. Nous transmutons tous les aliments que nous ingérons en nous-mêmes. Voilà en ce qui concerne le corps physique qui a besoin pour sa survie d’absorber des nourritures telles que des fruits, des légumes, de la viande, des céréales…

Pages 206 / 207

La traversée vers l’autre rive

Rencontres au Mexique

Arnaud Desjardins

Véronique Desjardins

Bon dimanche: Claude Sarfati.

La fascination des biens matériels

jacques vigne

(Vijayânanda trouve cette histoire si importante qu’il dit en souriant qu’on devrait l’afficher dans toutes les chambres de tous les âshram…)

Il était une fois un guru qui avait un très bon disciple, un brahmacharin qui était inspiré par l’esprit de renoncement: il ne possédait rien, si ce n’est un ‘kupinam’ (un caleçon). Un jour, son guru lui dit: « Tu vas te rendre dans un endroit isolé pour l’y consacrer à la méditation. Je te donnerai un mantra et je viendrai voir dans quelques années comment ça va. » Alors notre jeune homme est parti et s’est mis à pratiquer la méditation selon les instructions de son guru. Son programme journalier était le suivant: le matin il se levait, lavait son kupinam, le faisait sécher sur l’herbe, puis commençait sa méditation. Ensuite, vêtu de son seul kupinam, il allait au village pour mendier sa nourriture; il revenait pour le repas et s’asseyait de nouveau pour la méditation. Un jour, un rat ou une souris fit des trous dans son kupinam. Notre brahmacharin était désespéré; c’était sa seule possession. Il l’a raccommodé tant bien que mal et, en mendiant sa nourriture au village, il a dit aux gens qu’il n’avait plus de kupinam. Les villageois lui dirent: « Cela ne fait rien, on va te donner un autre kupinam ! » Ainsi fut fait. Il était tout à fait heureux avec son nouveau kupinam, et il a recommencé son programme journalier. Quelques jours après, la même histoire s’est reproduite. Une souris a de nouveau fait des trous à son kupinam; il va de nouveau au village et redemande un kupinam que les villageois lui ont volontiers donné. Cette histoire est arrivée deux ou trois fois. Finalement, les gens se sont fatigués et lui ont dit: « Bâbâ, on ne va pas te donner tous les jours un nouveau kupinam ! On va te donner un chat, tu le garderas près de toi, le chat chassera les souris et celles-ci ne viendront plus manger ton kupinam ! » Le brahmachârin a alors emmené son chat, et les souris se sont éloignées. Il était tout heureux, son kupinam n’était plus déchiré par les souris. Seulement voilà, il y avait un autre problème. Il fallait nourrir le chat, lui donner du lait. De ce fait, quand il allait au village, il demandait aux gens: « S’il vous plaît, donnez-moi aussi un peu de lait pour mon chat. » Les villageois lui ont donné volontiers du lait pour le chat. Cela s’est reproduit plusieurs jours, pendant une semaine ou deux, et les villageois ont fini par se fatiguer. « Eh, Bâbâ, on ne va pas te donner tous les jours du lait ! On va te donner une vache, tu vas la traire et tu auras du lait pour nourrir ton chat. » Alors il a emmené la vache, a appris à la traire et ainsi il a eu du lait tous les jours pour lui et pour son chat. Mais un nouveau problème est apparu: il fallait nourrir la vache. Quand il allait mendier, il demandait aux villageois de lui donner du foin pour nourrir sa vache. Les villageois lui ont d’abord donné du foin, puis finalement se sont lassés et lui ont dit: « Eh, Bâbâ, on ne va pas toujours te donner du foin ! Il y a des terres en friche près de ton âshram. Tu vas les cultiver, on va te donner du blé à semer, il va pousser, tu auras du blé pour faire tes roti (Roti, galette de froment), et tu auras de la paille pour ta vache. Alors il a dit oui, car il était obéissant et très influençable, comme beaucoup de brahmachârin et de sâdhu. Il a fait cela, récolté son blé, en a semé une partie à nouveau, a commencé à stocker de la paille. Finalement, au cours des années, il n’a plus pu faire le travail lui-même. Il a dû demander aux villageois des hommes pour l’aider. Au début, ils lui en ont donné, mais après ils lui ont dit: « Bâbâ, on va te donner une femme, tu vas te marier avec elle, elle t’aidera, elle te donnera des enfants et les enfants t’aideront à leur tour. » C’est ce qu’il a fait, et petit à petit son âshram s’est transformé en une grande propriété, avec des greniers pour le foin et le blé, des ouvriers comme dans une entreprise. Un jour, son guru est venu. Il a vu la ferme, avec des gens occupés à droite et à gauche. Il a demandé à un homme: « Dis donc, j’avais mis un brahmachârin ici, qu’est-il devenu ? Est-il parti ? » L’homme répondit: « Non, non, il est debout là-bas. » Notre brahmachârin était habillé comme tout le monde, il donnait des ordres à ses ouvriers. Son guru s’est approché de lui. Quand le brahmachârin l’a vu, il est tombé à genoux et a dit: « Guruji, regardez ! Tout ça, c’est à cause d’un kupinam ! »

Source :                                                                                   VIJAYANANDA

 

 UN FRANCAIS DANS L’HIMALAYA

 ITINERAIRE AVEC MA ANANDAMAYI

Textes rassemblés et présentés par Vigyânânand (Jacques Vigne

Bonne lecture, bonne écoute, bon dimanche: Claude Sarfati.