En 1973 fut découvert à Ma Wang Dui, dans une province du sud de la Chine, une tombe datant du deuxième siècle avant J.-C, qui contenait, parmi d’autres trésors, deux manuscrits sur soie. Il s’agissait de deux textes essentiels de la culture chinoise: l’un était le Dao De Jing, l’ouvrage de référence du taoïsme, l’autre était la version la plus ancienne du Yi Jing connue à ce jour. On utilise de moins en moins aujourd’hui le vocable Yi King, résultat de la romanisation des idéogrammes effectuée par les traducteurs français des siècles précédents. Dans la transcription pinyin désormais courante, le nom s’écrit Yi Jing et se prononce I Tsing. De même Dao De Jing est la transcription de Tao te king, et Lao Zi devrait remplacer Lao Tseu. Sur cette question, voir les propositions de J.-F Billeter, Transcription et prononciation du chinois, note finale des Etudes sur Tchouang-Tseu, éditions Allia, Paris, 2004. Le premier se révéla quasiment similaire au texte transmis par la tradition – seul l’ordre de ses deux parties était inversé; le second présentait en revanche des différences notables avec le texte officiel du Livre des Changements, ce Yi Jing, que tout lettré chinois se devait de connaître et ques penseurs de l’Empire du Milieu commentaient depuis deux millénaires.
Si l’on y reconnaissait bien le texte des 64 figures qui constituent l’armature de l’ouvrage, certes présenté dans un ordre inhabituel et avec un certain nombre de variantes, il manquait une part importante de ce qui constitue aujourd’hui un Yi Jing complet, à savoir les commentaires regroupés depuis sous le nom de Dix Ailes. Il n’était dès lors plus possible de croire à la genèse de l’ouvrage telle que les Chinois la rapportaient depuis des siècles: un ouvrage dont les premiers éléments auraient été dessinés en des temps immémoriaux par le mythique Fu Xi, puis agencés par les fondateurs de la lignée des Zhou avant d’être commentés par Confucius. Le manuscrit de Ma Wang Dui allait permettre de reconstituer dans ses grandes lignes l’histoire du Yi Jing.
Le Yi Jing, cependant, n’est pas qu’un recueil de formules divinatoires. Il fait également référence à des événements historiques précis survenus au XI° siècle av. J.-C.; période qui vit la fin du règne des Shang et l’avènement de la dynastie des Zhou. Les protagonistes de ce renversement sont mis en scène au gré des situations décrites dans les hexagrammes, qu’il s’agisse de modèles prestigieux comme le roi Wen, fondateur de la lignée promue, de ses fils, ou des derniers seigneurs du clan Shang avec qui les tensions allèrent s’accentuant jusqu’au bouleversement final. Dans ce décor féodal, ces différents personnages deviennent emblèmes de comportements définis, nourrissant de leurs hauts faits les circonstances décrites. Il est fort probable que c’est dans les premiers siècles de la nouvelle dynastie que ces différents éléments commencèrent à être rassemblés en livre proprement dit. C’est d’ailleurs sous le nom de Mutations des Zhou qu’il accompagnera toute la période de transition entre la culture antique et la fondation de l’Empire en 221 av. J.-C. par Qin Shi Huangdi*.
Les premières citations des Mutations se trouvent dans le Commentaire de Zuo, un écrit du IV° siècle avant J.-C.; où l’on peut lire des comptes rendus de consultations effectuées entre 672 et 485 av. J.-C. Selon Anne Cheng, le recueil apparaît à ce stade comme « un manuel de divination consulté par des hommes d’état sur des enjeux d’ordre personnel ou le plus souvent politique** ». Cette diffusion dans la classe dirigeante – la divination n’est déjà plus à ce stade une prérogative royale – ira s’élargissant à partir de Confucius (551-479 av. J.-C.), même si les célèbres Entretiensdu Maître ne font aucunement allusion aux Mutations***. Il semble toutefois que des retouches soient encore apportées au texte durant toute cette période, notamment à l’époque des Royaumes Combattants qui fut celle où apparurent les grands courants de la pensée chinoise, taoïsme et confucianisme****.
Quoi qu’il en soit, il est avéré qu’au début de la dynastie des Han, qui succède au règne bref mais décisif du premier Empereur, le texte original est établi: c’est, abstraction faite de quelques variantes, celui trouvé dans la tombe de Ma Wang Dui.Les Mutations des Zhou se composent alors de soixante-quatre figures constituées de la superposition de six traits qu’un commentaire annexe pour la première fois Yin et Yang. A chacun de ces hexagrammes sont rattachées une sentence globale appelée Jugement, et une ou plusieurs formules concernant chacun des six niveaux de la situation décrite, le Texte des Traits. C’est ce texte original que la tradition reconnaît comme Texte Canonique.
* Il s’agit du premier Empereur, dont le mausolée contenant la célèbre armée de guerriers en terre cuite fut mis au jour en 1974. Voir Corrine Debaine-Francfort, La Redécouverte de la Chine ancienne, Gallimard, 1998.
*** Excepté dans une phrase « dont le sens est plus qu’incertain ». Voir Anne Cheng. Ibidem,p.257.
**** On trouve par exemple dans le texte de l’hexagramme 30 (ligne 3) une anecdote visiblement tirée du Zhuang Zi, ouvrage de la fin du IV° siècle av. J.-C.
Le Yi Jing prend sa source dans les pratiques divinatoires qui avaient cours aux premiers temps de ce qui n’était pas encore la Chine. Dans le monde incertain du II° millénaire avant J.-C.; il importait de se concilier les esprits de a nature et de garder le lien avec les mânes protectrices des ancêtres. C’est dans ce but que les devins attachés à la cour des Shang, héritiers des chamanes de Sibérie orientale, préparaient les sacrifices que le roi offrait au Souverain d’en haut – entité où se mêlaient l’image du premier ancêtre et celle d’une puissance capable de juguler les forces de l’univers. Responsables de l’ordonnancement des rituels, les devins avaient pour coutume d’observer les restes des ossements calcinés afin d’en vérifier à postériori le succès ou l’échec. L’analyse des traces du feu et des craquelures donna naissance à une étude très poussée des signes, que certains dénomment aujourd’hui une « sémiologie expérimentale* », laquelle allait se développer dans deux directions.
D’une part, alors qu’elle avait d’abord servi à s’assurer a posteriori de la bonne exécution du sacrifice, cette divination sur os, appelée ostéomancie, devint un moyen a priori de le régler. Pratiquée non plus après, mais avant les offrandes, selon des techniques de plus en plus perfectionnées, elles allait dorénavant permettre d’en établir au mieux les modalités (jour, lieu, type et nombre d’animaux à brûler, etc.). Dans ce passage du diagnostic au pronostic, il y a déperdition de l’aspect purement religieux du sacrifice au profit de la forme rituelle- évolution vers le rite qui imprégnera toute la culture chinoise ultérieure.
D’autre part, et, plus remarquable encore, la réflexion s’étendit peu à peu à tous les aspects des événements à propos desquels les sacrifices étaient effectués, que ce soit pour protéger des éléments naturels (inondations, cataclysmes) ou pour assurer le succès d’entreprises humaines (guerres, chasses, travaux agricoles…). Pratiquée à l’origine dans un souci d’efficacité rituelle, « la spéculation a progressivement débordé sur toutes les formes et tous les mouvements de l’ensemble des êtres de l’univers** ». Les résultats des observations étant soigneusement analysés, comparés, classés, c’est une véritable science des formes et des correspondances qui s’est progressivement mise en place, articulée sur la description des rythmes naturels et l’étude des changements constants auxquels ils président.
La technique des devins poursuivit son évolution par deux étapes significatives; la tortue et l’achillée, nom de la plante dont les tiges étaient utilisées pour des opérations de comptage. Dans la première, appelée chéloniomancie– du grec chelonios qui signifie tortue – leurs investigations ne s’effectuaient plus sur des omoplates de bœuf ou de mouton mais sur des carapaces de tortue, animal qui symbolise l’univers dans l’imaginaire chinois. La phase suivante, celle de l’achilléomancie, marque un passage à l’abstraction, l’observation de l’univers trouvant son prolongement dans une spéculation sur les nombres. Les archéologues ont ainsi pu étudier des superpositions de chiffres renvoyant aux différents types de fissure qui apparaissaient lors des opérations de brûlage, catégorisation dans laquelle la répartition entre le pair et l’impair semble avoir joué un rôle déterminant. Ce sont ces empilements de données qui allaient se standardiser en soixante-quatre figures à six niveaux appelées hexagrammes, chacune de ces figures rendant compte d’une configuration déterminée du réel. Et c’est par le décompte effectué avec cinquante tiges d’achillée que se ferait désormais la mise en relation de la situation considérée avec l’une ou l’autre de ces configurations.
Qu’elles soient issues d’inscriptions sur os, gravées sur écailles de tortues ou transposées sur des lattes de bambou, les annotations oraculaires des devins furent rassemblées en différents recueils dont les plus anciens ont été perdus***. Elles constituent les bases d’un savoir qui s’est transmis de siècle en siècle pour se sédimenter dans la strate la plus anciennes de ce qui allait devenir le texte canonique du Yi King.
*** Il aurait ainsi existé dans les temps anciens trois canons divinatoires correspondant, d’après l’historien Seu-Ma Tsien, aux trois dynasties ayant précédé celle de Han: le lian Shan qui s’ouvrait sur l’hexagramme 52 (le texte de sa Grande Image commence par cette formule) et daterait de la lointaine dynastie des Xia, le Gui Cang qui aurait eu cours sous les Shang, et le Zhou Yi qui nous est finalement parvenu sous le nom de Yi Jing.
Tao… trois lettres pour dire l’axe central de l’univers, « d’où tout part et où tout revient ». Trois lettres pour une philosophie orientale qui va bien à notre époque. Certains d’entre nous la pratiquent peut-être sans le savoir, car cette doctrine ancestrale donne des clés pour vivre dans l’énergie, la prospérité et l’authentique. Moins connue que le bouddhisme, souvent confondue avec le zen, le tao nous indique « ce qui marche » pour favoriser la vie. « Il émousse ce qui tranche, démêle les nœuds, discerne dans la lumière, assemble ce qui, poussière, se disperse », écrivait son fondateur Lao Tseu. Le sinologue Cyrille Javary est plus direct : « Tao veut dire “voie”, mais on pourrait presque le traduire par “machin”, explique-t-il. Avec lui, les Chinois ont inventé le pragmatisme souriant. » Voici huit principes du tao. A utiliser sans modération.
Rechercher l’essence, fuir l’apparence
« Celui qui ne perd pas sa racine peut durer » Lao Tseu
Les taoïstes ont recherché la véritable nature des choses, une démarche qui invite à aller au-delà des apparences. Ainsi, en plein mois de novembre, les Chinois voient déjà le printemps. Ils savent qu’il faut retourner la terre pour préparer les futures floraisons. Le tao privilégie l’être au paraître. « Un taoïste aujourd’hui recherche la simplicité en tout. Aux meubles alambiqués, il préfère la beauté d’un bois brut, explique Gérard Edde, auteur du Chemin du tao (La Table ronde, 1997). Aux vêtements synthétiques, la pureté du coton. »
Savoir que l’on est relié au monde
et que les rythmes du monde sont en soi…
« Grand est le ciel, grande est la Terre, grand, l’être » « Tao Te King », 25
Le tao offre la vision d’un monde holistique, car il part de l’existence d’un flux d’énergie commun, le « ch’i », qui baigne aussi bien le soleil, les planètes que chaque être humain. « Tout homme, parce qu’il se sait en interaction avec toute chose vivante, se sent donc à sa place dans l’univers », explique Galya Ortega, spécialiste du massage taoïste. Cette conscience du ch’i est à la base de nombreuses techniques aujourd’hui très prisées : le feng shui, qui cherche à harmoniser le ch’i d’une habitation avec l’énergie des personnes qui y vivent, ou l’acupuncture, qui travaille sur les points énergétiques du corps afin d’accorder le « climat intérieur » de chaque individu avec la saison qui arrive, et prévenir ainsi les maladies.
En toute chose, reconnaître la danse du yin et du yang
« Le yin est ce qui a envie de devenir yang, et le yang, ce qui a envie de devenir yin » Cyrille Javary Vivre le tao, c’est avoir conscience de ces deux énergies contraires, nées du vide primordial et qui se relaient sans cesse : le yang – qui correspond à la dureté, la masculinité, l’action, l’être, la lumière – succède au yin, qui incarne le féminin, la douceur, la passivité, les ténèbres, le non-être, la nuit. Dans toute situation, l’une de ces forces succédera à l’autre. Aussi, pour trouver l’harmonie, on recherchera sans cesse le point d’équilibre entre les deux. En cuisine, on élaborera des menus qui associent aliments yin (sucre, fruits, légumes verts, etc.) et yang (viande, œufs, fruits de mer, etc.). Dans la vie quotidienne, on alternera des temps de repos (yin) et d’action (yang), de retour à soi (yin) et d’extériorisation (yang). « Et le tao nous rappelle que se retirer, attitude très yin, peut aussi être une stratégie puissante, car c’est ce qui permet de restaurer l’énergie yang », affirme Cyrille Javary. Parfois donc, reculer, c’est progresser.
S’accorder aux cycles
« Les quatre saisons changent et se transforment continuellement l’une en l’autre. C’est ainsi qu’elles peuvent accomplir la durée du temps » « Yi King », hexagramme 32 Toute chose vivante est soumise à des cycles de destruction et de régénération. Les événements n’échappent pas à cette loi de la mutation : chaque aventure de la vie a ses propres temps d’action et d’immobilisation. La thérapeute américaine Diane Dreher, auteur de The Tao of Womanhood (Quill, New York, 1999) affirme que « la sagesse, c’est de savoir reconnaître la fin d’un cycle, de ne pas se battre contre l’incontournable et de savoir quand bouger ». Dans la journée, par exemple, à quelle heure nous sentons-nous au top de notre énergie ? A quel moment décline-t-elle ? Selon Diane Dreher, nous sommes plongés dans la confusion quand nous avons négligé de repérer à quel moment de son cycle en est telle ou telle relation affective ou situation professionnelle qui nous pose problème. Le tao peut alors se faire réconfortant puisqu’il nous chuchote à l’oreille : « Il n’y a qu’une chose qui ne change pas, c’est que tout change tout le temps. »
Résoudre les oppositions
« Sous la pluie, voir le soleil brillant. Dans les flammes, boire à la source fraîche » Anonyme Pour nous cartésiens, qui pensons en termes de bien ou mal, noir ou blanc, le tao permet de délier les conflits cornéliens qui nous emprisonnent. « Le un se divise toujours en deux » : toute situation se déliera à un moment en une situation yin et une situation yang, rien dans la vie n’est univoque. Le tao nous propose donc de pratiquer la double vision. William Martin, auteur d’un bréviaire taoïste à l’usage des parents d’aujourd’hui (Parents’s Tao Te King – Marlowe and Company, New York, 1999), invite à prendre en compte cette dialectique des antagonismes dans l’éducation d’un enfant : « Si vous voulez que vos enfants soient généreux, vous devez d’abord les autoriser à être égoïstes. Si vous voulez qu’ils soient disciplinés, vous devez d’abord les laisser être spontanés. […] Une qualité ne peut être pleinement apprise sans la pleine compréhension de son opposé. »
S’asseoir et oublier
« Le sage rejette toute influence et demeure centré » « Tao Te King », 12 Aujourd’hui, l’un des écrivains taoïstes les plus créatifs, Doctor Barefoot, se définit comme un « guerrier spirituel » (Guerrier urbain, manuel de survie spirituelle – J’ai lu, 2000). Individualiste, il méprise la politique car il sait que le travail intérieur prime sur tout et que pour agir en accord avec le tao, il faut d’abord être à l’écoute de sa nature profonde. « N’oubliez jamais : tout ce que vous voyez à la télévision, tout ce que vous lisez sur le Net, dans la presse ou dans les livres, tout ce que vous entendez à la radio, tout (y compris mon guide) est la pensée d’un autre. » Pour lui comme pour les ermites du VIe siècle avant J-C (lire ci-contre), la sagesse vient de l’intuition intérieure. Pour contacter celle-ci, une seule voie : entrer dans le silence intérieur et méditer. « C’est la “voie de l’eau”, explique Gérard Edde. On ne médite pas pour gagner plus de sagesse ou de sérénité mais, au contraire, on s’assoit pour perdre chaque jour quelque chose : une idée erronée, un mauvais comportement, une émotion conflictuelle… et ainsi rejoindre l’unité primordiale. »
Vivre l’acte sexuel comme un puissant échange énergétique
« Pendant l’amour, l’homme prend le yin qui lui manque et la femme, le yang dont elle a besoin » Gérard Edde Aujourd’hui, le « tao sexuel » apparaît comme une invitation à l’extase perpétuelle. En réalité, si les ermites du VIe siècle avant J-C ont mis au point ces techniques sophistiquées d’union sexuelle – qu’ils pratiquaient avec des prostituées et suivant un calendrier très précis –, c’était avant tout pour purifier leur énergie vitale. Rien de romantique donc, dans cette pratique qui, comme le qi gong ou la méditation, a pour but essentiel de favoriser l’union avec le tao : « La maîtrise et la rigueur nécessaires aux amants étaient liées à leur manque de passion amoureuse », analyse Gérard Edde. L’acte sexuel est vécu comme un puissant moment d’échange énergétique, ayant à ce titre des répercussions sur toute la vie : « Lorsque votre énergie sexuelle circule librement dans tout le corps (et pas seulement dans les parties génitales), vous vous sentez plus élevé spirituellement et davantage connecté à vos impulsions », déclare Doctor Barefoot.
Apprendre à « nourrir la vie »
« Les hommes d’autrefois respiraient profondément jusqu’aux talons »Tchouang Tseu Les premiers taoïstes, qui affirmaient leur désir d’atteindre l’immortalité, ont mis au point des centaines de techniques de régénération interne. Ces pratiques millénaires n’ont pas bougé d’un pouce. Vivre dans le tao, à notre époque, revient encore à prendre conscience de l’énergie vitale qui est en soi et à la faire fructifier grâce à ces techniques raffinées : taï-chi, qi gong (les « gymnastiques de santé »), massages taoïstes, médecine chinoise préventive, acupuncture, respiration énergétique, etc. Aujourd’hui, les cours permettant de s’initier fourmillent. Mais n’oublions pas le défi essentiel sur lequel elles ont été conçues : chacun doit savoir se régénérer, et devenir ainsi de plus en plus autonome. A chacun son tao, donc…
Il existe un très vieux livre nommé Yi King, le Livre des Mutations, basé sur l’idée que l’interaction de deux forces à la fois antagonistes et solidaires engendre la mutation de tout ce qui est vivant. Ces deux forces, expressions de Tao, sont Yin et Yang. Et puisque Tao, par nature, « existe sans exister », il est éternel et, par voie de conséquence, Yin et Yang entretiennent des rapports en permanence, engendrant par là-même une constante mutation que l’on appelle l’impermanence.
Permanence et impermanence sont deux écoles de pensée, deux manières d’envisager la métaphysique, dont le propos est de s’intéresser à ce qui est au-delà (méta) des choses physiques. La question est de savoir qui, de la poule ou de l’œuf, précède l’autre ou, plus sérieusement, si l’essence se situe avant l’existence ou si l’existence engendre l’essence.
En Occident, Héraclite d’Ephèse, qui vécut entre 540 et 480 avant Jésus-Christ, est l’auteur d’un ouvrage intitulé De l’Univers dans lequel il émet la théorie que la naissance et la conservation des êtres sont dues au « conflit des contraires ». Ces deux forces contraires, pense- t-il, sont enveloppés par « une substance unique et commune à toutes les choses ». Enfin, il précise que toutes les choses procèdent d’un « écoulement perpétuel » et que tu ne veux pas te baigner deux fois dans le même fleuve car de nouvelles eaux coulent toujours sur toi.
Il est aisé de retrouver Yin et Yang en ce « conflit des contraires » que peut corroborer la Médecine Traditionnelle Chinoise issue de la connaissance du Tao: au même titre que les méridiens d’acupuncture, pour la plupart répartis symétriquement dans le corps humain, il existe un méridien central (Zhong maï) appelé le Vaisseau des hostilités et en lequel – pour ne pas entrer dans des subtilités trop techniques- circulent des « manifestations énergétiques » Yin et Yang qui se traduisent, par exemple, par la libido (instinct de vie) et la destrudo (instinct de mort).
De même, la « substance unique » d’Héraclite rappelle-t-elle le Qi de Tao et de même « l’écoulement perpétuel » est-il synonyme de mutation d’impermanence. Comme il fut dit, les sages du Tao puisent leur savoir d’une part dans l’interne et d’autre part dans la Nature. Or l’interne évolue tout au long d’une vie exactement comme la Nature se modifie en permanence. Au fil des ans, l’arbrisseau devient un arbre et l’arbre lui-même, au sein de la même année, se couvre de feuilles puis se dénude, portant des fleurs qui deviennent fruits. Tout change… sauf le Principe immuable qui est à la base du changement. Autrement exprimé, la permanence du non-être engendre l’impermanence de l’être: ce qui est achevé paraît achevé mais ne l’est pas dans son principe, écrit Lie Tseu (Le Vrai Classique du Vide Parfait, livre VI, 11).
Parlant de Tao,Lao Tseu affirme qu’il se meut sans cesse (Tao Te King, 14) mais que, le principe étant permanent, qui saisit le Constant embrasse et saisit tout (Tao Te King, 16).
Quant à Tchouang Tseu, il résout vite le problème du permanent et de l’impermanent: il est inutile de s’interroger sur le fini et l’infini. Derrière les phénomènes qui changent existe le non-changement. Pourquoi ne pas le consulter?
Nous en revenons là à la façon d’envisager les choses sous l’angle du Tao: tout ce qui vit vibre, évolue et se transforme mais il y a quelque chose de « sans nom » qui, d’être sans être, est la permanence. Celui qui part quêter Tao se retrouvera plus que souvent en face de cette constante: les sages cultivent ce qui nous apparaît comme un paradoxe parce que nous voulons comprendre ce qui ne peut en aucun cas être enfermé dans notre intellect. C’est pourquoi ils se réfèrent systématiquement à l’interne.