L’IMPERMANENCE

Il existe un très vieux livre nommé Yi King, le Livre des Mutations, basé sur l’idée que l’interaction de deux forces à la fois antagonistes et solidaires engendre la mutation de tout ce qui est vivant. Ces deux forces, expressions de Tao, sont Yin et Yang. Et puisque Tao, par nature, « existe sans exister », il est éternel et, par voie de conséquence, Yin et Yang entretiennent des rapports en permanence, engendrant par là-même une constante mutation que l’on appelle l’impermanence.

Permanence et impermanence sont deux écoles de pensée, deux manières d’envisager la métaphysique, dont le propos est de s’intéresser à ce qui est au-delà (méta) des choses physiques. La question est de savoir qui, de la poule ou de l’œuf, précède l’autre ou, plus sérieusement, si l’essence se situe avant l’existence ou si l’existence engendre l’essence.

En Occident, Héraclite d’Ephèse, qui vécut entre 540 et 480 avant Jésus-Christ, est l’auteur d’un ouvrage intitulé De l’Univers dans lequel il émet la théorie que la naissance et la conservation des êtres sont dues au « conflit des contraires ». Ces deux forces contraires, pense- t-il, sont enveloppés par « une substance unique et commune à toutes les choses ». Enfin, il précise que toutes les choses procèdent d’un « écoulement perpétuel » et que tu ne veux pas te baigner deux fois dans le même fleuve car de nouvelles eaux coulent toujours sur toi.

Il est aisé de retrouver Yin et Yang en ce « conflit des contraires » que peut corroborer la Médecine Traditionnelle Chinoise issue de la connaissance du Tao: au même titre que les méridiens d’acupuncture, pour la plupart répartis symétriquement dans le corps humain, il existe un méridien central (Zhong maï) appelé le Vaisseau des hostilités et en lequel – pour ne pas entrer dans des subtilités trop techniques- circulent des « manifestations énergétiques » Yin et Yang qui se traduisent, par exemple, par la libido (instinct de vie) et la destrudo (instinct de mort).

De même, la « substance unique » d’Héraclite rappelle-t-elle le Qi de Tao et de même « l’écoulement perpétuel » est-il synonyme de mutation d’impermanence. Comme il fut dit, les sages du Tao puisent leur savoir d’une part dans l’interne et d’autre part dans la Nature. Or l’interne évolue tout au long d’une vie exactement comme la Nature se modifie en permanence. Au fil des ans, l’arbrisseau devient un arbre et l’arbre lui-même, au sein de la même année, se couvre de feuilles puis se dénude, portant des fleurs qui deviennent fruits. Tout change… sauf le Principe immuable qui est à la base du changement. Autrement exprimé, la permanence du non-être engendre l’impermanence de l’être: ce qui est achevé paraît achevé mais ne l’est pas dans son principe, écrit Lie Tseu (Le Vrai Classique du Vide Parfait, livre VI, 11).

Parlant de Tao,Lao Tseu affirme qu’il se meut sans cesse (Tao Te King, 14) mais que, le principe étant permanent, qui saisit le Constant embrasse et saisit tout (Tao Te King, 16).

Quant à Tchouang Tseu, il résout vite le problème du permanent et de l’impermanent: il est inutile de s’interroger sur le fini et l’infini. Derrière les phénomènes qui changent existe le non-changement. Pourquoi ne pas le consulter?

Nous en revenons là à la façon d’envisager les choses sous l’angle du Tao: tout ce qui vit vibre, évolue et se transforme mais il y a quelque chose de « sans nom » qui, d’être sans être, est la permanence. Celui qui part quêter Tao se retrouvera plus que souvent en face de cette constante: les sages cultivent ce qui nous apparaît comme un paradoxe parce que nous voulons comprendre ce qui ne peut en aucun cas être enfermé dans notre intellect. C’est pourquoi ils se réfèrent systématiquement à l’interne.

ABC du TAO

Jacques E. Deschamps

Editions GRANCHER

 

Jiddu Krishnamurti

Le Livre de la Méditation et de la Vie

Amitiés

Claude Sarfati

un dialogue avec soi-même (fin)

Ainsi, par la négation de ce qui n’est pas amour,

l’amour est.

Je n’ai pas besoin de lui courir après.

Si je le poursuis, ce n’est pas l’amour,

c’est une récompense.

Alors, dans cette enquête, par la négation, j’ai mis fin,

lentement, attentivement, sans déformation, sans illusion,

à tout ce qui n’est pas

___ L’autre est.

__J.Krishnamurti__ (extrait d’une discussion qui eut lieu lors du Brockwood Park Gathering, le 30 août 1977)

un dialogue avec soi-même (8)

… Ainsi, dans ma conversation avec moi-même, j’ai découvert que le sentiment de solitude est créé par la pensée.

La pensée s’est maintenant rendue compte par elle-même qu’elle est limitée et qu’elle ne peut donc pas résoudre le problème de la solitude.

Puisqu’il en est ainsi, le sentiment de solitude existe-t-il?

La pensée a crée ce sentiment de solitude, de vide, parce qu’elle est limitée, fragmentaire, divisée; or, quand elle prend conscience de cela, le sentiment de solitude n’est pas et, partant, il y a libération de l’attachement.

Je n’ai rien fait; j’ai observé mon attachement, ce qu’il suppose, la rapacité, la peur, l’impression de solitude et tout cela; et, en le suivant à la trace, en l’observant, non pas en l’analysant, mais simplement en regardant et regardant, le fait que c’est la pensée qui a fait tout cela apparaît.

La pensée, étant fragmentaire, a créé cet attachement.

Lorsqu’elle s’en rend compte, l’attachement cesse.

Il n’y a pas d’effort du tout.

Car sitôt qu’il y a effort

le conflit réapparaît.

Dans l’amour il n’y a aucun attachement; s’il y a attachement, l’amour n’est pas.

Or le facteur principal a été suprimé par la négation de ce que l’amour n’est pas, par la négation de l’attachement.

Dans ma vie quotidienne cela veut dire qu’il n’y a aucun souvenir de quoique ce soit que ma femme, ma compagne ou ma voisine ait fait pour me blesser, aucun attachement à une image que la pensée a créée d’elle.

Comment elle m’a malmené, comment elle m’a réconforté, comment je lui dois un plaisir sexuel, toutes les différentes choses au sujet desquelles le mouvement de la pensée a créé des images;

l’attachement à ces images a disparu.

Il y a encore d’autres facteurs.

Dois-je les explorer tous, pas à pas, l’un aprés l’autre?

Ou est-ce que tout est terminé?

Dois-je investiguer

comme je l’ai fait pour l’attachement

vivre et explorer la crainte, le plaisir, le désir de réconfort?

Je vois que je n’ai pas besoin de reprendre, étape par étape, une enquête sur tous ces divers facteurs.

Je le perçois d’un seul coup d’oeil; j’ai saisi.

J.Krishnamurti (extrait d’une discussion qui eut lieu lors du Brockood Park Gathering, le 30 août 1977)

un dialogue avec soi-même (5)

J’ai commencé par dialoguer avec moi-même.

Je me suis demandé ce qu’était cette étrange chose qu’on appelle l’amour; tout le monde en parle, l’évoque; songez à tous les poèmes romantiques, aux films, à la sexualité et à tous ses divers autres aspects.

Je me dis: l’amour existe-t-il? et constate qu’il n’existe pas dès lors qu’il y a de la jalousie, de la haine, ou de la crainte.

Alors je laisse l’amour de côté pour me préoccuper de ce qui est, de ma crainte, de mon attachement.

Pourquoi me suis-je attaché? Une des raisons pas nécessairement l’unique est que je me sens désespérement seul, mis à l’écart. Plus j’avance en âge, plus ce sentiment s’amplifie.

Alors je l’observe.

Je suis au défi de découvrir et comme il y a défi, toute l’énergie est là pour y répondre. Cela, c’est bien simple. En effet, s’il se produit une catastrophe, un accident, que sais-je, je me trouve confronté à un défi et l’énergie requise afflue pour y faire face. Je n’ai pas besoin de demander: Comment est-ce que je peux trouver l’énergie voulue? Quand la maison brûle, je trouve la force de réagir, j’ai une énergie extraordinaire, je n’abandonne pas en disant: Eh bien! il faut que je trouve cette énergie, et en attendant qu’elle vienne. Si je le faisais, le feu aurait tout le temps de réduire la maison en cendres.

Ainsi, cette énergie gigantesque est là pour répondre à la question: pourquoi ce sentiment de solitude? j’ai rejeté les idées, les suppositions et les théories selon lesquelles il serait héréditaire ou instinctuel. Tout cela n’a aucun sens pour moi.

Se sentir seul, c’est ce qui est. Pourquoi vient-il, ce sentiment que chaque être humain S’il est un tant soi peu conscient connaît, superficiellement ou très profondément?

Pourquoi survient-il?

Serait-ce que l’esprit fait quelque chose qui le crée?

J’ai rejeté les théories qui lui trouvent une origine dans l’instinct ou dans l’hérédité et je me demande:

L’esprit, le cerveau lui-même engendre-t-il ce sentiment de solitude, d’isolement total?

Le mouvement de la pensée fait-il cela? La pensée dans son fonctionnement quotidien le crée-t-il?

Au bureau je m’isole, parce que j’ambitionne de devenir un grand directeur et qu’en conséquence, la pensée fonctionne tout le temps, s’isolant.

Je vois que la pensée travaille tout le temps pour se rendre supérieure, le cerveau s’entraîne sur la voie de l’isolement.

J.Krishnamurti (extrait d’une discussion qui eut lieu lors du Brockwood Park Gathering, le 30 août 1977)

un dialogue avec soi-même (4)

… Je voudrais donc comprendre le pourquoi de mon sentiment de solitude, car c’est lui qui est cause de mon attachement. Il m’a contraint à fuir, en me raccrochant à ceci ou à cela; et tant qu’il persistera, cette succession de réactions en chaîne se reproduira.

Qu’est-ce que se sentir délaissé?

Comment en arrive-t-on là?

Le sentiment de solitude est-il instinctuel, ou héréditaire?

Ou résulte-t-il de mon activité quotidienne?

Dans les deux premiers cas, il est inscrit dans ma destinée et je n’y suis pour rien. Comme je n’accepte pas cette explication, je la met en doute, et demeure avec mon interrogation. J’observe, sans essayer de trouver une réponse intellectuelle.

Je n’essaie pas de dire au sentiment de solitude ce qu’il devrait faire, ni ce qu’il est: je l’observe pour que lui-même me le dévoile. Un état d’attention vigilante s’instaure pour que lui se révèle.

Il ne se révélera pas si je fuis; si j’ai peur; si je lui résiste.

Alors je l’observe.

Je l’observe, de sorte qu’aucune pensée ne fait irruption. L’observation est beaucoup plus importante que l’immixtion de la pensée.

Et comme toute mon énergie est centrée sur l’observation de ce sentiment de solitude, la pensée n’intervient pas du tout. L’esprit est confronté à un défi, et il doit y répondre. Ce défi le met en état de crise.

En situation de crise on développe une immense énergie et celle-ci se maintient sans ingérence de la pensée. Il y a là un défi qui exige une réponse.

J.Krishnamurti (extrait d’une discussion qui eut lieu lors du Brockwood Park Gathering, le 30 août 1977)