L’observation de soi

L’observation de soi est très difficile. Plus vous essaierez, plus vous vous en rendrez compte.

Pour le moment, vous ne devez vous y exercer, non pas en vue d’un résultat, mais pour comprendre que vous ne pouvez pas vous observer. Jusqu’ici vous avez imaginé vous voir et vous connaître.

Je parle d’une observation de soi objective. Objectivement, vous n’êtes pas capable de vous voir, même pour une minute, parce qu’il s’agit là d’une fonction différente: la fonction du maître.

Si vous croyez pouvoir vous observer pendant cinq minutes, c’est faux; que ce soit vingt minutes ou une minute, c’est égal. Si vous constatez simplement que vous ne pouvez pas vous observer, alors vous avez raison. Votre but est d’y parvenir.

Pour atteindre ce but, vous devez essayer et essayer encore. Si vous essayer, le résultat ne sera pas l’observation de soi dans le plein sens du mot. Mais le fait même d’essayer fortifiera votre attention. Vous apprendrez à mieux vous concentrer. Tout cela vous sera utile plus tard. C’est seulement plus tard que vous pourrez commencer à vous rappeler vous-même véritablement.

Aujourd’hui, vous ne disposez que d’une attention partielle, venant par exemple du corps, ou du sentiment.

Si vous travaillez consciencieusement, vous vous rappellerez vous-même, non pas davantage, mais moins, parce que le rappel de soi est de plus en plus exigeant. Ce n’est pas si facile, si bon marché.

L’exercice de l’observation de soi suffit pour des années. Ne tentez rien d’autre. Si vous travaillez consciencieusement, vous verrez ce dont vous avez besoin.

New York, 13 mars 1924.

Georges Ivanovitch Gurdjieff

Gurdjieff parle à ses élèves

Editions du Rocher

Amitiés, bon dimanche: Claude Sarfati.

Evolution de la nourriture

GURDJIEFF ELEVES

L’homme est une usine à trois étages. Nous avons dit qu’il y a trois sortes de nourriture, entrant par trois portes différentes. La première sorte de nourriture est ce que l’on appelle ordinairement « nourriture », pain, viande, etc.

Chaque sorte de nourriture est un do. Dans l’organisme, le do passe à la note suivante. Chaque do a la possibilité de passer à dans l’estomac, où les substances de la nourriture changent de vibrations et de densité, se transforment chimiquement, se mélangent, et, sous l’actions de certaines combinaisons, passent à . a lui aussi la possibilité de passer à mi. Mais mi ne peut évoluer par lui-même : c’est la nourriture de la seconde octave qui lui vient en aide. Le do de la seconde sorte de nourriture, c’est-à-dire de l’air, aide le mi de la première octave à passer à fa, après quoi l’évolution peut se poursuivre. En un point similaire, la seconde octave à son tour a besoin de l’aide d’une octave plus élevée. Elle est aidée par une note de la troisième sorte de nourriture — l’octave des impressions.

Ainsi la première octave évolue jusqu’à si. La substance la plus fine que l’organisme humain puisse produire à partir de ce qui est habituellement appelé nourriture est si. L’évolution d’un morceau de pain va donc jusqu’à si. Mais si ne peut pas se développer davantage chez un homme ordinaire. Si la note si pouvait évoluer et passer au do d’une nouvelle octave, il serait possible de construire un nouveau corps au-dedans de nous. Mais pour cela, des conditions particulières sont nécessaires. L’homme, par lui-même, ne peut devenir un nouvel homme ; des conditions intérieures spéciales sont requises.

Georges Ivanovitch Gurdjieff

Gurdjieff parle à ses élèves (pages 261, 262)

Editions du ROCHER

 

Amitiés

 

Claude Sarfati

Sarvam Kalvidam Brahman « Tout dans cet univers est Brahman »

Une formule bien connue des Upanishads affirme : Sarvam Kalvidam brahman, « en vérité, tout cet univers (ou tout dans cet univers) est Brahman », est l’unique et éternelle Réalité suprême.

Concrètement et immédiatement, même si cette réalisation vous paraît lointaine, tout ce qui vous apparaît désastreux, déplorable, anti-spirituel n’en est pas moins une expression ou une manifestation de cette Réalité ultime. Et refuser les conditions dans lesquelles vous vous trouvez, vivre en porte-à-faux avec ce qui fait la réalité de votre existence ne peut pas constituer un chemin de libération.

Il y a différents points de vue, différents angles de vision de la vérité. Certainement le monde moderne qui a donné la primauté à l’avoir sur l’être est pathologique, la société entière est devenue divisée, schizophrène, mais c’est dans ce monde que vous vivez et, tant que vous ne l’avez pas quitté, une attitude négative vis-à-vis de ce monde ne pourra en rien vous faire progresser. Le principe qui doit toujours vous guider est celui-ci : « Pas ce qui devrait être, mais ce qui est. » Et seulement ce qui est, dans le relatif, peut vous conduire à ce qui est dans l’absolu. Il n’y a pas d’autre chemin. Ceux qui se contenteraient d’avoir une attitude critique vis-à-vis de ce monde moderne, de le refuser, de superposer ou surimposer sur leurs conditions réelles de vie un rêve ou une nostalgie d’autre chose ne pourraient pas progresser et tourneraient même le dos au chemin de la vérité.

D’un point de vue, il y a une différence certaine entre ce qui est sacré et ce qui est profane et vous avez le droit de voir clair, de distinguer ce qui dans le monde manifesté vous aide à trouver votre Centre, à trouver le Royaume des Cieux, qui est au-dedans de vous, et ce qui vous apparaît au contraire comme des conditions plus difficiles ; mais c’est vrai seulement d’un point de vue. Du point de vue ultime, toutes ces distinctions, même entre profane et sacré, s’effacent et chaque instant de la réalité est sacré. Du point de vue ultime, il n’y a pas de différence entre l’abbaye de Vézelay et le centre Georges-Pompidou. Tout est expression ou manifestation de la grande Réalité. Et, s’il y avait une distinction à faire, elle serait entre deux niveaux de réalité ou de vérité, le niveau manifesté, apparent, toujours changeant, celui de la multiplicité, et le niveau non manifesté, non changeant, celui de la Conscience suprême ou de l’Atman, du Soi, du Vide des bouddhistes mahayanistes, la seule Réalité qui soit immuable, non dépendante, jamais affectée.

Et le deuxième principe qui doit vous guider est bien connu car on le cite autant comme une parole zen, une parole soufie, une parole chrétienne ou une parole hindoue, c’est : « Ici et maintenant ». Ici et maintenant, au sens le plus strict de ces deux mots, ne veut pas dire « maintenant au xx° siècle, sans nostalgie d’une belle époque à jamais disparue », mais dans l’instant, dans la seconde même que je suis en train de vivre, et ici veut dire exactement là où moi je me trouve situé. Ce ici et maintenant est aussi infime dans le temps et dans l’espace qu’un point. Et, si vous quittez le ici et maintenant, le mental peut repartir dans de grandes constructions brillantes et vous arracher à la réalité qui est votre seul point d’appui et votre seule possibilité de découvrir ce que vous cherchez. Je tiens à insister là-dessus pour qu’une dénonciation même impitoyable du monde moderne ne vous engage pas dans une fausse voie. Si vous pouvez vivre dans un monastère, au moins de temps en temps, faites-le, et si vous pouvez vivre dans une communauté de soufis, faites-le. Vous y serait en effet soumis à des influences tout autres que celles qui composent votre existence. Mais ne rêvez jamais stérilement d’autre chose que ce qui est. Et n’oubliez pas que votre progression ne peut s’effectuer ailleurs que dans les conditions précises qui sont les vôtres à un moment donné. Sinon, il y aura nostalgie, rêverie mais aucun chemin réel. Et tant que vous n’êtes pas en mesure de quitter ce monde moderne, profane, matérialiste, acceptez-le, adhérez, ne projetez pas une réalité de votre invention sur la réalité telle qu’elle est.

Si vous pouvez contribuer à modifier les conditions de votre existence, faites-le. Si vous pouvez contribuer à redonner un certain souffle spirituel à ce monde moderne, faites-le, selon vos capacités, mais méfiez-vous de votre propre ego et de votre propre mental. C’est au-dedans de vous que se trouvent les forces qui peuvent vous maintenir dans le sommeil ou vous aider à vous éveiller. Plutôt que de déplorer les conditions matérialistes d’une société fondée sur l’avoir et regretter les conditions plus spirituelles d’une société fondée sur l’être, soyez dans la vérité de votre société à vous, qui n’est pas autre chose que celle où vous vous trouvez à l’instant même, et soyez vigilants par rapport à toutes les productions et projections de votre propre mental.

Je comprends bien- je le comprends d’autant mieux que je l’ai éprouvé et partagé – que puissent naître chez certains le refus d’un monde matérialiste et une intense aspiration à un monde différent qui serait vraiment le témoignage conscient, dans cette vie du changement et de la multiplicité, de l’autre niveau, celui de l’éternité comme celui de l’unité et de l’infini. Cette nostalgie m’a animé pendant des années : je ne lisais qu’un certain type de livres, je ne voulais voir qu’un certain type d’œuvres d’art, je ne recherchais qu’un certain type d’architecture et je finissais par ne plus trouver d’intérêt qu’aux êtres humains qui pensaient comme moi, c’est-à-dire qui avaient découvert l’enseignement de Gurdjieff ou Ramana Maharshi ou le bouddhisme zen.

Il y a là un piège subtil d’autant plus grave qu’il se présente comme un choix spirituel : refuser le matérialisme pour donner la place à l’esprit. C’est un mensonge qui consiste à rester dans votre monde à vous et à nier simplement ce que vous n’aimez pas. La véritable liberté se situe au-delà de toutes les oppositions, de toutes les polarités et même de toutes les distinctions. Elle s’exprime dans ces mots sanscrits : sarvam kalvidam brahman, « tout dans cet univers est Brahman », tout.

Arnaud Desjardins

La voie du cœur (p 42 à 45).

Editions : Pocket, Spiritualité

Amitiés

Claude Sarfati

Tout est matière transformée selon Gurdjieff

Tout dans le monde est matériel et – conformément à la loi universelle- tout est en mouvement et en continuelle transformation. Cette transformation va de la matière la plus subtile à la matière la plus grossière, et vice versa. Entre ces deux extrêmes, il y a de nombreux degrés de densité de matière.

Cette transformation de la matière ne s’effectue pas de manière égale et continue. A certains stades de ce développement se produisent des arrêts qui correspondent en quelque sorte à des stations de transmission. Ces stations sont constituées par tout ce qui peut être organismes, au sens large de ce mot- le soleil, la terre, l’homme, le microbe. Ces stations sont des transformateurs, elles transforment la matière aussi bien dans le mouvement ascendant, où elle s’affine, que dans le mouvement descendant, où elle se densifie. Cette transformation s’opère de façon purement mécanique.

La matière est partout la même, mais sur chaque niveau sa densité est différente. Par suite, chaque matière a sa place propre dans l’échelle générale des matières et il est possible de dire si elle est en voie de devenir plus fine ou plus dense.

Les transformateurs différent seulement par leur échelle. L’homme est une station de transmission aussi bien, par exemple, que la terre ou le soleil; il est le siège des mêmes processus mécaniques.

Il s’opère en lui la même transformation de formes supérieures de la matière en formes inférieures, et de formes inférieures en formes supérieures.

Cette transformation de substances suivant deux directions- l’évolution et l’involution – ne s’opère pas seulement le long de la ligne principale qui va du plus subtil au plus épais et vice versa, mais, de cette ligne à chaque station intermédiaire, sur chaque niveau, se développent des branches latérales.

La matière nécessaire peut alors être captée et absorbée par une entité donnée, et sert ainsi à son évolution ou à son involution. Toute chose absorbe, c’est-à-dire se nourrit de quelque chose, et sert à son tour de nourriture. C’est là ce que signifie « échange réciproque ». Cet échange réciproque s’effectue en tout, aussi bien dans la matière organique que dans la matière inorganique.

Comme je l’ai dit, tout est en mouvement.

Aucun mouvement ne suit une ligne droite, chaque mouvement comporte deux directions simultanées: il est en rotation sur lui-même et tombe vers le centre de gravité le plus proche, conformément à la loi de chute. C’est ce que l’on appelle habituellement le mouvement.

Cette loi universelle était connue dans des temps très anciens. Nous pouvons le déduire de certains événements du passé qui ne se seraient jamais produits si les hommes d’alors n’avaient pas possédé cette connaissance. Jadis les hommes savaient comment utiliser et contrôler ces lois de la Nature.

Cette direction artificielle des lois mécaniques par l’homme est de la magie et implique non seulement une transformation de substances dans la direction voulue, mais aussi de la résistance, l’opposition à certaines influences mécaniques reposant sur les mêmes lois.

Ceux qui connaissent ces lois universelles et savent comment s’en servir sont des magiciens. Il y a une magie blanche et une magie noire. Les mages blancs se servent de leurs connaissances pour le bien; les mages noirs s’en servent pour le mal, pour leur propres fins égoïstes.

De même que la Grande Connaissance, la magie qui existe depuis les temps les plus anciens n’a jamais été perdue et le savoir qu’elle contient est resté le même. Seule la forme sous laquelle ce savoir s’exprimait et se transmettait a changé selon le lieu et l’époque.

Nous parlons maintenant dans une langue qui, dans deux cents ans, ne sera plus la même; il y a deux cents ans, elle était différente. De même la forme dans laquelle la Grande Connaissance a été exprimée à un moment donné devient à peine compréhensible pour les générations suivantes; elle est prise presque exclusivement de manière littérale. Pour la plupart des gens, le contenu intérieur est perdu.

Dans l’histoire de l’humanité se déroulent parallèlement deux lignes de civilisation indépendantes l’une de l’autre: la ligne ésotérique et la ligne exotérique. Invariablement, l’une l’emporte sur l’autre et se développe tandis que l’autre s’estompe. Une période de civilisation à dominante ésotérique apparaît quand les conditions extérieures, politiques et autres, sont favorables. Il en fut ainsi pour le christianisme. La connaissance, assumant la forme d’un enseignement correspondant aux conditions de temps et de lieu, se trouve alors largement répandue. Mais, tandis que pour certains la religion sert de guide, pour d’autres ce n’est qu’un gendarme…

Tout est matériel

Essentuki, 1918

Georges Ivanovitch Gudjieff

Gurdjieff parle à ses élèves

Editions du ROCHER

Amitiés: Claude Sarfati

Alexandre le grand et la fin des utopies

En 1980, le cinéaste Théo Angelopoulos, nous propose une réflexion sur le pouvoir au travers d’un film: Alexandre le grand.  L’histoire du film est simple:

Au début du XXème siècle, en Grèce. Un bandit de grands chemins, Alexandre, devient le héros du peuple pour avoir su répondre à leurs besoins de justice et de vérité. Mais il se prend au sérieux, recherche la déification, et trouve les bons moyens pour y parvenir. Il abandonne ainsi ses projets initiaux et devient un tyran. Contesté, puis répudié, le despote est éliminé par le peuple.

 » On est arrivé à la fin du siècle avec un goût amer » regrette le cinéaste.

Un siècle qui a pourtant commencé avec quelques promesses ».

Cette réflexion sur le pouvoir à travers le destin d’un libérateur devenu tyran, nous renvoie à notre propre relation, individuelle, collective que nous entretenons avec « le pouvoir ».

Le pouvoir que nous exerçons ou subissons à notre travail, dans notre famille, dans notre rôle social, etc.

Nous chérissons des idoles puis nous les massacrons avec une cruauté inouïe, sommes-nous restés des barbares?

Où bien refusons-nous tout simplement notre responsabilité personnelle dans tout ce qui se passe autour de nous, dans notre vie?

Ceux qui doutent de l’existence d’un libre arbitre peuvent méditer sur notre relation au pouvoir..

Si nous déléguons ce pouvoir, nous aurons plus de facilité à nous déresponsabiliser par la suite; il nous suffira de tourner le dos à ceux en qui nous l’avons confiés.

Si nous refusons de déléguer ce pouvoir et que nous acceptons notre part de responsabilité dans tout ce qui se passe, pourrons-nous alors nous détourner de nous-mêmes?

Ce pouvoir comme un anneau sacré qui unit tous les êtres de la terre devrait être gardé par des « sages », des hommes remarquables (selon Gurdjieff) ou des « êtres nobles » (dans le Yi King).

La fin des utopies dont parlait Angelopoulos après la chute du mur de Berlin est aussi la fin d’un système, politique, sociologique, économique, etc.

Ceux qui croient  la prophétie de la fin du monde (prévue pour  la fin de l’année), peuvent-ils observer la fin de tout un paradigme qui se déroule déjà sous nos yeux?

La fin du monde ne sera pas un déluge, une catastrophe planétaire, etc.

Les catastrophes sont déjà là, un nouveau gouvernement n’y changera rien.

Que sont devenues les valeurs humaine en Grèce, en Espagne, en Italie, en Irlande, etc.

Bientôt en France… Nous cherchons toujours des boucs émissaires (ceux que l’on murmure à nos oreilles) mais quand prendrons-nous la juste mesure de cette profonde mutation qui nous affecte tous?

 

Agir, c’est d’abord ne rien faire,

…écouter, voir, sentir;

ensuite devenir pleinement responsable de ses capacités à Aimer, changer vraiment, devenir meilleur  parce qu’on le choisit.

Dans le film de Théo Angelopoulos: Alexandre le grand, seul un enfant échappe à la mort.

Soyons cet enfant, retrouvons l’innocence, la découverte d’un monde nouveau à chaque instant.

Amitiés: Claude Sarfati.