…Au treizième siècle il y avait les marchands, les prêtres et les soldats. Au vingtième siècle il n’y a plus que les marchands. Ils sont dans leurs boutiques comme des prêtres dans leurs églises. Ils sont dans leurs usines comme des soldats dans leurs casernes. Ils se répandent dans le monde par la puissance de leurs images. On les trouve sur les murs, sur les écrans, dans les journaux. L’image est leur encens, l’image est leur épée. Le treizième siècle parlait au cœur. Il ne lui était pas nécessaire de parler fort pour se faire entendre. Les chants du Moyen Âge font à peine plus de bruit que la neige tombant sur de la neige. Le vingtième siècle parle à l’œil, et comme la vue est un des sens les plus volages, il lui faut hurler, crier avec des lumières violentes, des couleurs assourdissantes, des images désespérantes à force d’être gaies, des images sales à force d’être propres, vidée de toute ombre comme de tout chagrin. Des images inconsolablement gaies. C’est que le vingtième siècle parle pour vendre et qu’il lui faut en conséquence flatter l’œil-le flatter et l’aveugler en même temps. L’éblouir. Le treizième siècle a beaucoup moins à vendre- Dieu ça n’a aucun prix, ça n’a que la valeur marchande d’un flocon de neige tombant sur des milliards d’autres flocons de neige…
Au début des années trente, dans une province au sud des Etats-Unis, Ben Harper, honorable père de famille frappée par la crise, commet un hold-up pour subvenir à ses besoins. Avant d’être arrêté, il confie le butin à son fils John, lui faisant promettre de garder le secret de sa cachette et de prendre soin de sa petite sœur Pearl. Il partage sa cellule avec Harry Powell (faux prêcheur et vrai criminel) qui tente d’obtenir le secret. Ben Harper est exécuté sans avoir parlé, le prêcheur se met sur la piste du butin. Il arrive au village où il est chaudement accueilli par la commerçante qui emploie Willa Harper et la pousse à se marier avec l’étranger. John se méfie et fait tout pour retenir sa sœur prête à parler à cet homme qu’elle considère comme son père depuis qu’il a épousé sa mère. Le prêcheur tue Willa car il sait que seuls les enfants connaissent la cachette. Inquiet de sa disparition, John s’enfuit avec Pearl non sans avoir été obligés de révéler le secret pour sauver leurs vies. Ils se réfugient chez une vieille dame qui recueille des jeunes filles pour combler la disparition de son fils. John, seul garçon, a sa préférence. C’est pourquoi elle l’aide contre le prêcheur. Armée, elle le blesse et appelle la police. Mais lors de son arrestation, John regrette la disparition de cet homme qu’il a tant haï et refuse de le dénoncer lors du procès.
David Grubb, d’abord passionné de peinture, est l’homme d’un seul et magistral roman au suspense hallucinant, oscillant entre conte et thriller.
Voilà une œuvre qui traverse le temps avec aisance, devenu un film pour le moins magique, offrant la richesse de pouvoir s’interpréter de diverses manières. Alors, un film moraliste religieux ? Une fable perverse ? Bien malin celui qui, à la seule vision du film, peut donner une interprétation unilatérale.
Pour tenter de trouver une réponse, il faut s’intéresser d’un peu plus près à la personnalité de Charles Laughton, le metteur en scène, à ce qu’il a pu dire ou ce qu’on a pu dire de lui. Voici un propos de la comédienne Elsa Lanchester, son épouse, qui peut éclairer sur la nature profonde de Laughton : « Il était quelqu’un de très moral, choqué par lui-même, souffrant de douloureux sentiments de culpabilité. Il pouvait rire des contradictions morales qu’il observait chez les autres, mais était incapable de rire de sa propre contradiction ». Et en effet, Laughton était homosexuel tout en donnant des lectures de la Bible à la radio. Et si « La nuit du chasseur » était le produit d’un effet cathartique sur Laughton ? Et si « La nuit du chasseur » représentait le cheminement de rédemption cinématographique du réalisateur ? En tous les cas, le pasteur Harry Powell interprété par Mitchum semble être le produit de cette contradiction morale, un personnage symbolisant la profonde culpabilité et schizophrénie du metteur en scène. Et cette dualité intérieure, Laughton va la mette en scène en toute conscience, essayant d’en équilibrer les éléments de ténèbres et de morale. On peut le constater dans une lettre que Laughton adresse à James Agee, co-scénariste : « Au début de l’histoire du Pharaon, je crois que nous n’avons pas montré assez clairement que John se conduit mal lorsqu’il voit la Bible. Je vous écris ceci car nous allons envoyer une copie du scénario aux gens du Breen Office ; si nous voulons faciliter nos rapports avec eux, il faut qu’il soit tout à fait clair dans cette scène que nous sommes pour la religion et non pas contre elle ». Voilà qui apporte énormément de lumière sur la démarche narrative de Laughton, essayant d’équilibrer les forces du bien et du mal à tout prix, dans ce qui apparaît comme une autocensure hautement constructive pour éviter tout manichéisme. Et si la magie de ce chef-d’œuvre provenait de là, de cette pression extérieure, sociale et commerciale, qui oblige les créateurs à prendre des chemins de narration détournés ? « La nuit du chasseur », un exemple de plus dans l’Histoire du septième art démontrant toute la magie qui peut s’opérer dans l’autocensure.
Bien sûr, même si cette obsession sur contradictions intimes apparaît comme primordiale dans la construction narrative, elle n’est pas la seule corde que possède Laughton à son arc. C’est un homme de théâtre avant tout, britannique de surcroît, qui a tout joué. Son physique hautement disgracieux (« J’ai le visage comme l’arrière-train d’un éléphant ») l’a amené à jouer tous les monstres du répertoire. Tout ça pour dire qu’il pratique la distanciation. Il demande à ses comédiens d’interpréter les rôles dans l’esprit d’une tragédie grecque. Et bien sûr, il sait choisir ses collaborateurs. Son directeur de la photo, Stanley Cortez, va jouer un rôle primordial dans la force visuelle d’inspiration gothique et expressionniste, Laughton n’y entendant strictement rien à la technique. Cortez n’est rien d’autre que le directeur de la photographie de « La splendeur des Ambersons ». Quand un génie va chercher chez un autre génie, de quoi nourrir son esprit… Et puis, le choix des comédiens, Mitchum pour commencer, en distanciation permanente, va rendre son personnage burlesque. Il fait peur, mais on sent bien que tout ça, c’est pour rire. Lilian Gish est l’incarnation de l’hommage de Laughton». à D.W. Griffith, pionnier du cinéma américain, que Laughton vénère. Il revoit tous ses films juste avant le tournage de « La nuit du chasseur».
Bref, voilà une œuvre qui opère toujours sa magie un demi-siècle après sa création. Une des plus belles illustrations cinématographiques sur l’éternel combat entre le bien et le mal. Un film unique et inclassable, n’appartenant à aucun courant ou genre cinématographique. Un mélange de parabole biblique et de thriller horrifique, basculant en permanence entre un univers onirique et réaliste.
La nuit du chasseur (The Night of the hunter) Usa, 1955
De Charles Laughton
Scénario : James Agee et de Charles Laughton d’après le roman de Davis Grubb Avec Robert Mitchum, Shelley Winters, Lilian Gish, Billy Chapin, Sally Jane Bruce
Photo : Stanley Cortez
Musique : Walter Schumann
Combien de temps…
Combien de temps encore
Des années, des jours, des heures combien?
Quand j’y pense mon cœur bat si fort…
Mon pays c’est la vie.
Combien de temps…
Combien
Je l’aime tant, le temps qui reste…
Je veux rire, courir, parler, pleurer, Et voir, et croire Et boire, danser, Crier, manger, nager, bondir, désobéir J’ai pas fini, j’ai pas fini Voler, chanter, parti, repartir Souffrir, aimer Je l’aime tant le temps qui reste
Je ne sais plus où je suis né, ni quand
Je sais qu’il n’y a pas longtemps…
Et que mon pays c’est la vie
Je sais aussi que mon père disait:
Le temps c’est comme ton pain…
Gardes en pour demain…
J’ai encore du pain,
J’ai encore du temps, mais combien?
Je veux jouer encore…
Je veux rire des montagnes de rires,
Je veux pleurer des torrents de larmes,
Je veux boire des bateaux entiers de vin
De Bordeaux et d’Italie
Et danser, crier, voler, nager dans tous les océans
J’ai pas fini, j’ai pas fini
Je veux chanter
Je veux parler jusqu’à la fin de ma voix…
Je l’aime tant le temps qui reste…
Combien de temps…
Combien de temps encore?
Des années, des jours, des heures, combien?
Je veux des histoires, des voyages…
J’ai tant de gens à voir, tant d’images..
Des enfants, des femmes, des grands hommes,
Des petits hommes, des marrants, des tristes,
Des très intelligents et des cons,
C’est drôle, les cons, ça repose,
C’est comme le feuillage au milieu des roses…
Combien de temps…
Combien de temps encore?
Des années, des jours, des heures, combien?
Je m’en fous mon amour…
Quand l’orchestre s’arrêtera, je danserai encore…
Quand les avions ne voleront plus, je volerai tout seul…
Quand le temps s’arrêtera…
Je t’aimerai encore
Je ne sais pas où, je ne sais pas comment…
Mais je t’aimerai encore…
D’accord?
En l’an 747 de la fondation de Rome, dans le village de Nazareth, Robin Yehuda parcourt les écritures des prophètes. Ceux-ci prédisent la venue d’un messie qui délivrera Israël en imposant la paix éternelle. Marie et sa lointaine cousine Élisabeth donnent toutes deux naissance à un enfant le 25 décembre, l’un Jésus, l’autre Jean-Baptiste. Ce dernier est accusé d’être le messie et niant les faits, il annonce qu’il baptisera lui-même Jésus. En effet devenu adulte, Jésus demande à Jean de le baptiser mais se fait arrêter et jeter au fond d’une geôle. Entouré de ses apôtres, Jésus décide de se rendre à Jérusalem pour convaincre les prêtres juifs de la vérité de son message.
En arrivant à Jérusalem il redonne la vue à un aveugle et guérit aussi un homme à l’agonie. L’inquiétude du Sanhédrin (Assemblée des chefs religieux juifs) ne fera que s’accentuer en apercevant l’importance de ce nazaréen qui se dit être : « Le fils de Dieu ». Le soir de Pâques, Jésus annonce à ses disciples sa mort prochaine. Trahi par Judas, il sera arrêté et son procès se déroulera devant Ponce Pilate. Jésus condamné, mourra. Ses apôtres ne croiront pas à sa résurrection. Pourtant il réapparaîtra à ses disciples leur disant : « N’ayez plus peur, je suis et serai toujours avec vous jusqu’à la fin des temps ».
Conçu (sous la demande de Paul VI) pour la télévision, le film fut réalisé sous un contrôle étroit des autorités religieuses. Les scénaristes adaptèrent l’Évangile et en particulier l’Évangile selon Saint Jean.