La vie des Huichols est désormais menacée par la mondialisation économique et leur acculturation possible
. Depuis 2009 le gouvernement mexicain a accordé 6000hectares aux entreprises minières canadiennes pour exploiter des mines d’argent. C’est une menace directe sur les ressources naturelles (nappes phréatiques) et culturelles ,le site de Wirituka n’étant qu’à quelques kilomètres. Surtout les indiens, comme les inuit ou les aborigènes australiens entretiennent une relation sacrée avec la terre et les éléments naturels. L’exploitation minière serait donc pour eux un sacrilège et une atteinte à leur identité spirituelle.
« L’Histoire bégaie, on le sait. Parfois, il y a tellement d’insupportable dans ce bégaiement qu’on ne peut l’accepter. Le génocide amérindien fut organisé pour une grande part à cause de la convoitise des conquérants pour l’or et l’argent, chose tellement incompréhensible pour les habitants du Nouveau Monde que certains (les Purepecha du Michoacan) se posèrent même la question : « Assurément, ces hommes doivent se nourrir de ces métaux pour les désirer à tel point. » Pour eux, ces métaux étaient « l’excrément du Soleil et de la Lune » et ne servaient qu’aux objets de culte.
Depuis 2009, la compagnie minière canadienne First Majestic Silver, spécialisée dans la prospection des métaux précieux, a pu racheter 22 concessions à l’ouest de l’Etat de San Luis Potosi, dans le nord du Mexique, dans une montagne nommée Cerro Quemado, près de la station de chemin de fer Real de Catorce. Cette montagne est depuis toujours le lieu mythique pour les Indiens Wixaritari – plus connus du grand public sous le nom de Huichols – où ils s’approvisionnent en peyotl pour leurs cérémonies de divination thérapeutique et leurs rituels liés au culte du Soleil.
L’Histoire ici bégaie outrageusement : au XVIIIe siècle, les Huichols furent au centre d’une révolte contre le pouvoir colonial espagnol, car leur territoire était envahi par les prospecteurs – comme dans le cas de la ruée vers l’ouest, des aventuriers et des hommes de main de toutes origines, attirés par la perspective de riches filons. A la fin du XIXe siècle, un métis du nom de Manuel Lozada organisa une autre révolte pour défendre l’autonomie des peuples habitant l’Etat du Nayarit – Coras et Huichols -, et sa défaite sonna le glas de la relative liberté que les Indiens avaient acquise sur leur territoire. Fragilisée par les divisions, la population autochtone figure aujourd’hui parmi les ultimes résistants de l’indianité dans un monde de plus en plus conformiste et matérialiste.
Le projet de la First Majestic Silver n’arrive pas par hasard. La crise économique mondiale a donné un regain de popularité à la valeur refuge que constituent les métaux précieux. Mais la prospection et l’exploitation des anciens filons ne peuvent se faire actuellement que dans des conditions d’extrême agressivité : recherche en profondeur, éventration à la dynamite, utilisation de polluants (mercure et cyanure), rejets de boue contaminée qui mettent en danger la nappe aquifère. Partout dans le monde de tels projets sont combattus par les associations de protection de l’environnement – comme cela fut le cas récemment en France avec le projet minier de Salsigne (Aude), stoppé par les militants.
Cause juste. Que restera-t-il de la montagne sacrée des Huichols après de tels outrages ? Même si éventuellement le filon est abandonné faute de rentabilité (ou parce que le cours des métaux sera retombé), le mal sera irrémédiable. La montagne où les Indiens se rendaient chaque année au bout d’une longue marche pleine de souffrance et de mysticisme sera devenue un lieu dévasté, fracturé, violenté.
Certes, l’on peut regarder tout cela comme l’énième épisode de la défaite du monde amérindien traditionnel et penser que, après le génocide perpétré au XVIe siècle par les conquérants, ce drame est le dernier souffle qui éparpille dans l’oubli des peuples déjà devenus fantômes. Ce doit être, j’imagine, la réponse des ingénieurs et des dirigeants de la First Majestic Silver. Il y a quelques décennies, les compagnies qui éventrèrent le territoire des Indiens Navajos, au sud des Etats-Unis, ironisaient sur cette manie qu’ont les Indiens de considérer que le monde entier serait « terre sacrée ».
Mais la question n’est pas, qu’on y réfléchisse, seulement celle des Huichols et du Cerro Quemado. Il ne s’agit pas d’affirmer un privilège exotique en vue de maintenir une poignée d’hommes dans leur droit, contre l’abus d’une compagnie minière nord-américaine – même si, de toute évidence, la beauté, la pensée et la justice sont de leur côté. La question est de mettre un frein, chaque fois que cela est possible, à la rapacité des puissants exercée contre ce qu’il y a de précieux et d’unique – l’héritage, le respect, l’équilibre du monde -, mieux que des symboles, la substance vivante de notre commune humanité. Nous devons tous soutenir la juste cause des Huichols et demander au gouvernement mexicain d’annuler l’autorisation d’exploiter le Cerro Quemado accordée hâtivement à la First Majestic Silver. »
Aujourd’hui, les Huichols continuent pourtant de défendre leur territoire. Ils livrent bataille contre l’invasion des métisses ou d’autres indigènes de la Sierra, qui exercent une constante pression pour profiter des ressources de leurs terres. De plus, les différentes communautés huicholes sont en proie des querelles agraires dont la source remonte aux siècles précédents. Ils sont cependant connus pour avoir conservé leur culture, loin de l’influence catholique. Grâce à la poursuite de rites millénaires, ils tentent de conserver leur foi chamanique, un gouvernement théocratique et une agriculture d’autosubsistance aujourd’hui menacée.
Leur organisation géographique et politique reste, jusqu’à aujourd’hui originale. Elle est divisée en cinq grandes communautés. Chacune est autonome avec ses propres autorités civiles — le totohuani est un gouverneur nommé chaque année — et religieuses — les maraakates, ou maraakames sont des prêtres ou des chanteurs(en fait des chamanes) chargés de maintenir les traditions. Le Huichol traditionnel ne s’intéresse pas à l’accumulation des biens, mais reste en quête d’un contact direct avec le monde pour lui pénétré de surnaturel.
La vie se compose des esprits, de la nature et des hommes en un tout soudé et interdépendant. La religion étant intimement liée à la vie elle-même, dans de nombreuses cultures indiennes il n’existe aucun terme pour la désigner. Les forces qu’incarnent leurs divinités sont les forces mêmes de l’existence : forces du feu, de l’eau, des nuages, du vent, des arbres, des astres, qui représentent, sous des formes diverses, une même force naturelle. Les mots de polythéisme et de monothéisme n’ont donc pas de sens pour les cultures amérindiennes.
La terre est le plus souvent considérée, non pas comme la création d’une divinité, mais comme la divinité elle -même, et cette sacralisation donne un sens cosmique à leur enracinement territorial.. Le monde, pour les anciens mexicains, porte en lui, la force créatrice des dieux. Les indiens, à la différence des occidentaux recherchent plutôt le dessein de l’Univers, et considèrent donc les rites et la magie comme supérieurs aux sciences et aux arts.
« II reste aujourd’hui peu de chose du rituel chamanique pratiqué dans l’ancien Mexique. Le nahualli des Aztèques, le hmen des Mayas, le sikuame des Purepecha ont survécu à l’effondrement des concepts religieux indiens, peut-être parce que leur rôle caché les préservait. Sorcier, médecin, astrologue, le chamane est le symbole du contact direct de l’homme avec l’au-delà. Il est le devin, celui qui guérit ou qui ensorcelle, celui qui complote et qui révèle les pouvoirs surnaturels. Au chamanisme est liée la connaissance des plantes, et particulièrement des poisons et des hallucinogènes : peyotl, datura, champignons, et aussi yauhtli (l’encens) tabac, alcool…. »
« Mais plutôt que cette magie noire, c’est un système de pensée particulier qui inspire le chamanisme. Même les grandes civilisations théocratiques du Mexique, au temps qui précède la Conquête espagnole, sont sous l’influence du chamanisme. Les rites sanglants, les offrandes, l’usage du tabac et des hallucinogènes témoignent de l’importance des pratiques chamaniques. Avant toute divination, ou avant les cérémonies de curation, rapporte Pedro Ponce de Léon, le médecin faisait « un discours et une supplique au feu, puis versait un peu de pulque ‘ » selon un rituel qui est encore pratiqué aujourd’hui dans les cultures indiennes.
Dans les mythes survivent également les thèmes chamaniques. Dans le traité de Jacobo de la Sema, le mythe d’émergence aztèque est associé aux formules de curation, où l’utérus féminin est désigné sous le nom symbolique des « sept grottes ». Le combat de Tezcatlipoca-Titlacauan contre le héros Quetzalcoatl est l’expression mythique de la rivalité chamanique, comme l’est peut-être la fête du dieu Huitzilopochtli, où s’affrontaient des partialités dans un simulacre de combat qui se terminait par le sacrifice. La fête dédiée au dieu chichimèque Mix-coatl était l’occasion de sacrifices propitiatoires qui rappellent les rituels chamaniques, où les captifs, pieds et mains liés, jouaient le rôle des cerfs tués à la chasse…… »
« Chez les anciens Mexicains, comme chez les Purepecha, le chamane, et le nécromancien semblent avoir joué un rôle ambigu : à la fois redoutés et hais, ils sont souvent dénoncés et mis à mort (comme ils le seront plus tard par le tribunal de l’Inquisition). Pourtant, c’est l’esprit chamanique qui est resté vivace dans la pensée indienne. Le chamanisme exprime l’individualité de la foi religieuse, et surtout, cette nécessaire complémentarité des forces du bien et du mal qui est le fond des croyances amérindiennes. De plus, le chamanisme était l’adéquation de la ferveur religieuse aux structures sociales, correspondant aux divisions en fractions et en partialités. C’est pourquoi, malgré l’abolition du clergé et de l’autorité politique indigène, malgré l’interdit des cérémonies et la destruction des temples, les anciens rituels de curation chamanique purent survivre, et même, dans certains cas, s’adapter aux nouvelles lois et aux nouvelles croyances. Dans la plupart des sociétés indigènes du Mexique, le nahualisme, la divination et les rites hallucinatoires se sont maintenus, non comme des archaïsmes, mais parce qu’ils exprimaient la continuité du mode de pensée indigène, symbolique et incantatoire, une autre façon de percevoir le réel. C’est dans le nord et le nord-ouest du Mexique que le chamanisme s’est le mieux préservé, sans doute parce que les sociétés semi-nomades n’avaient pas développé une structure étatique ni un véritable clergé. Ces sociétés, fondées sur la famille, sur le clan, ou sur la tribu, valorisaient avant tout la liberté cultuelle, et les pratiques divinatoires. Dans ces sociétés, le chamane est presque toujours associé aux chefs de guerre, et c’est lui que les missionnaires chrétiens combattront sous le nom de hechicero (jeteur de sorts). »JMG.LE CLEZIO. le Rêve Mexicain
Le chamanisme, omniprésent, assure la transmission de la mythologie et des rites. WIRIKUTA « là ou est né le soleil »demeure le lieu sacré, centre de pèlerinages où se commémore le culte du Peyotl. Ce cactus hallucinogène est l’ingrédient d’une danse fameuse depuis sa description par Antonin Artaud. Chaque année, au mois de janvier, et ce depuis quelques trois mille ans, un long pèlerinage(La Chasse Au Cerf ») mène les Huichols sur les Hauts Plateaux de la Sierra Madre pour y récolter le peyotl. Cette cueillette exige une abstinence ascétique et un jeûne total de cinq jours, la seule nourriture autorisée étant le peyotl cueilli l’année précédente. Effectuée selon des rites précis, elle se termine par une fête sacrée, la fête du peyotl dieu.