Chapitre XIV. Le médiateur

Il monte de la Terre au Ciel, et redescend du Ciel en Terre; il reçoit par là la vertu et l’efficacité des choses supérieures et inférieures…

(Table d’Emeraude) ces paroles s’appliquent à l’Homme comme médiateur entre le Ciel et la Terre.

La tradition extrême-orientale dit qu’à l’origine le Ciel et la Terre n’étaient pas séparés, mais, pour que la manifestation puisse se produire, il faut que l’Etre se polarise effectivement en Essence et Substance. Dès lors, leur communication s’établit uniquement par l’Axe du Monde. Tchoung-young = Invariable Milieu.

Le sceau de Salomon est formé de deux triangles superposés: le triangle droit est la nature céleste et le triangle inversé la nature terrestre, et l’ensemble symbolise l’«Homme Universel», le médiateur par excellence.

Un autre symbole extrême-oriental est celui de la tortue qui est placée entre les deux parties supérieure et inférieure de son écaille, comme l’Homme entre le Ciel et la Terre.

Sa rétractation à l’intérieur de l’écaille symbolise la concentration dans l’«état primordial», qui est l’état de l’homme véritable, est cette concentration est d’ailleurs la réalisation de la plénitude des possibilités humaines, car, bien que le centre ne soit apparemment qu’un point sans étendue, c’est pourtant ce point qui, principiellement, contient toutes choses en réalité.

Un exemple d’action rituelle est la circumambulation de l’Empereur dans le Ming-tang, image de l’Univers concentrée en un lieu qui représentait l’Invariable Milieu.

René Guénon, La grande triade (extraits)

Chapitre XII. Le Soufre, le Mercure et le Sel

 

Le ternaire alchimique: Soufre, Mercure et Sel.

Le complémentarisme des deux premiers termes et beaucoup plus accentué que celui d’entre l’esprit et l’âme. Le Souffre est envisagé comme principe actif masculin, pendant que le Mercure comme principe passif féminin. Le Sel est en quelque sorte neutre.

Le Souffre, assimilé au principe igné, est le principe d’activité intérieure, irradiant à partir du centre même de l’être. Cette force est identifiée dans l’homme à la puissance de la volonté divine. Le mot grec theion, désignation du Soufre, signifie en même temps «divin».

…tout ce qu’envisage la psychologie est simplement «périphérique» et ne se rapporte en somme qu’à des modifications superficielles de l’être.“ (p. 103)

Le Mercure, à cause de sa passivité, est un principe humide. Parmi ses désignations alchimique est aussi celle de humide radical. Il est considéré comme agissant de l’extérieur en tant que force centripète et compressive. Il s’oppose à l’action centrifuge et expansive du Soufre.

Le Soufre est yang et le Mercure est yin.

De l’action intérieure du Soufre et de l’action extérieure du Mercure se produit une cristallisation. Le produit de cette cristallisation est le Sel. C’est la ‘pierre cubique“ du symbolisme maçonnique. Il existe un rapport évident entre le Soufre et l’esprit et entre le Mercure et l’âme.

On ne peut pas identifier sans réserves le Sel au corps, celui-ci correspond au Sel sous un certain aspect ou dans une application particulière du ternaire alchimique.

Dans une autre application, c’est l’individualité tout entière qui correspond au Sel, dans ce cas le Soufre est le principe de l’être et le Mercure est l’ambiance subtile d’un certain monde ou état d’existence.

Pour reprendre un symbolisme que nous avons déjà employé précédemment, le Soufre est comparable au rayon lumineux et le Mercure à son plan de réflexion, et le Sel est le produit de la rencontre du premier avec le second;…“ (p. 108)

René Guénon,  »La grande triade » (extraits)

Chapitre XI. « Spiritus“, « anima“, « corpus“

La division ternaire est la plus générale et en même temps la plus simple qu’on puisse établir pour définir la constitution d’un être vivant, et en particulier celle de l’homme, car il est bien entendu que la dualité cartésienne de l’«esprit» et du «corps», qui s’est en quelque sorte imposée à toute la pensée occidentale moderne, ne saurait en aucune façon correspondre à la réalité;…“ (p. 94)

Toutes les traditions admettent la distinction: esprit, âme et corps.

Il n’y a que la modernité occidentale qui fait la confusion entre esprit et âme. Cette erreur a des conséquences qui ne sont pas uniquement théoriques.

La distinction de l’esprit et de l’âme est applicable à celle d’entre macrocosme et microcosme.

Les Pythagoriciens envisageaient un quaternaire fondamental: le Principe, transcendant par rapport au Cosmos, puis l’Esprit et l’Âme universels, et enfin la Hylé primordiale.

… du côté «essentiel», l’Esprit et l’Âme sont, à des niveaux différents, comme des «réflexions» du Principe même de la manifestation; du côté «substantiel», ils apparaissent au contraire comme des «productions» tirées de la materia prima, bien que déterminant eux-mêmes ses productions ultérieures dans le sens descendant, et cela parce que, pour se situer effectivement dans le manifesté, il faut bien qu’ils deviennent eux-mêmes partie intégrante de la manifestation universelle.“ (p. 97)

Buddhi ‘ Intellect pur (correspondant à Spiritus et à la manifestation informelle); Atmâ ‘ Principe transcendant. Le corps représente la passivité substantielle, sans être la Substance elle-même.

Dans le ternaire esprit-âme-corps, les deux premiers termes se situent du même côté par rapport au troisième.

… le corps a dans l’âme son principe immédiat mais il ne procède de l’esprit qu’indirectement et par l’intermédiaire de l’âme.“ (p. 98)

L’âme, en tant qu’intermédiaire entre l’esprit et le corps, est un principe «médiateur».

L’esprit et l’âme sont d’une certaine manière complémentaire, l’esprit est yang et l’âme est yin. Le premier est symbolisé par le Soleil, l’autre par la Lune.

L’esprit est la lumière émanée directement du Principe, tandis que l’âme est une réflexion de cette lumière.

Le serpent est un des symboles d’Anima Mundi parce que, bien qu’agissant aussi dans le monde corporel, appartiennent en elles-mêmes à l’ordre subtil.

René Guenon, La grande triade (extraits)

Chapitre X. L’Homme et les trois mondes

Lorsqu’on compare entre eux différents ternaires traditionnels, s’il est réellement possible de les faire correspondre terme à terme, il faut bien se garder d’en conclure que les termes correspondants sont nécessairement identiques, et cela même dans les cas où certains de ces termes portent des désignations similaires, car il peut très bien se faire que ces désignations soient appliquées par transposition analogique à des niveaux différents.“ (p. 88)

Tribhuvada hindou est composé de trois mondes: Terre (Bhû), Atmosphère (Bhuvas) et Ciel (Swar).

Mais Ciel et Terre hindoue ne correspondent pas à Tien et Ti chinois (ces derniers correspondent à Purusha et Prakriti hindous).

les «trois mondes» représentent l’ensemble de la manifestation elle-même, divisée en ses trois degrés fondamentaux, qui constituent respectivement le domaine de la manifestation informelle, celui de la manifestation subtile, et celui de la manifestation grossière ou corporelle.“ (p. 88)

La manifestation informelle est celle où prédominent les influences célestes; la manifestation corporelle est celle où prédominent les influences terrestres.

La manifestation subtile procède des deux états.

Il existe une analogie constitutive entre le macrocosme et le microcosme. L’homme appartient par l’esprit au domaine de la manifestation informelle, par l’âme à celui de la manifestation subtile et par le corps à celui de la manifestation grossière.

C’est d’ailleurs l’homme, et par là il faut entendre surtout l’«homme véritable» ou pleinement réalisé, qui, plus que tout autre être, est véritablement le «microcosme», et acela encore en raison de sa situation «centrale», qui en fait comme une image ou plutôt comme une «somme» (au sens latin de ce mot) de tout l’ensemble de la manifestation, sa nature, comme nous le disions précédemment, synthétisant en elle-même celle de tous les autres êtres, de sorte qu’il ne peut rien se trouver dans la manifestation qui n’ait dans l’homme sa représentation et sa correspondance.“ (p. 91)

Il existe une correlation entre les modifications de l’ordre humain et celles de l’ordre cosmique.

René Guénon, La grande triade (extraits)

Chapitre IX. Le fils du ciel et de la terre

Le Ciel est son père, la Terre est sa mère ‘ formule initiatique.

L’homme véritable est celui qui possède vraiment la plénitude de la nature humaine, ayant développé en lui l’intégralité des possibilités qui y sont impliquées; les autres hommes n’ont en somme qu’une potentialité humaine plus ou moins développée dans quelques-uns de ses aspects.

Les hommes ordinaires sont plutôt fils de la Terre que du Ciel, ils sont yin par rapport au Cosmos.

L’homme véritable est parfaitement équilibré sous le rapport du yang et du yin, e t, en même temps, la nature céleste ayant nécessairement la prééminence sur la nature terrestre, il est yang par rapport au Cosmos.

… «l’homme véritable» est aussi l’«homme primordial», c’est-à-dire que sa condition est celle qui était naturelle à l’humanité à ses origines, et dont elle s’est éloignée peu à peu, au cours de son cycle terrestre, pour en arriver jusqu’à l’état où est actuellement ce que nous avons appelé l’homme ordinaire, et qui n’est proprement que l’homme déchu.“ (p. 85)

La déchéance spirituelle attire un déséquilibre sous le rapport du yang et du yin.

Ces êtres, au contraire, l’«homme primordial», au lieu de se situer simplement parmi eux, les synthétisait tous dans son humanité pleinement réalisée; a du fait même de son «intériorité», enveloppant tout son état d’existence comme le Ciel enveloppe toute la manifestation (car c’est en réalité le centre qui contient tout), il les comprenait en quelque sorte en lui-même comme des possibilités particulières incluses dans sa propre nature; et c’est pourquoi l’Homme, comme troisième terme de la Grande Triade, représente effectivement l’ensemble de tous les être manifestés.(pp. 85-86)

La distinction entre l’«homme véritable» et l’«homme transcendant» est celle d’entre l’homme individuel parfait comme tel et l’«Homme Universel».

L’homme véritable est donc celui qui est parvenu effectivement au terme des «petits mystères», c’est-à-dire à la perfection même de l’état humain; par là, il est désormais établi définitivement dans l’«Invariable Milieu» (Tchoung-young), et il échappe dès lors aux vicissitudes de la «roue cosmique», puisque le centre ne participe pas au mouvement de la roue, mais est le point fixe et immuable autour duquel s’effectue ce mouvement.

Ainsi, sans avoir encore atteint le degré suprême qui est le but final de l’initiation et le terme des «grands mystères», l’«homme véritable», étant passé de la circonférence au centre, de l’«extérieur» à l’«intérieur», remplit réellement, par rapport à ce monde qui est le sien, la fonction du «moteur immobile», dont l’«action de présence» imite, dans son domaine, l’activité «non-agissante» du Ciel.“ (p. 87)

René Guénon, La grande triade (extraits)