L’âme adore nager. Pour nager on s’étend sur le ventre. L’âme se déboîte et s’en va. Elle s’en va en nageant. (Si votre âme s’en va quand vous êtes debout, ou assis, ou les genoux ployés, ou les coudes, pour chaque position corporelle différente l’âme partira avec une démarche et une forme différentes, c’est ce que j’établirai plus tard). On parle souvent de voler. Ce n’est pas ça. C’est nager qu’elle fait. Et elle nage comme les serpents et les anguilles, jamais autrement. Quantité de personnes ont ainsi une âme qui adore nager. On les appelle vulgairement des paresseux. Quand l’âme quitte le corps par le ventre pour nager, il se produit une telle libération de je ne sais quoi, c’est un abandon, une jouissance, un relâchement si intime… L’âme s’en va nager dans la cage de l’escalier ou dans la rue suivant la timidité ou l’audace de l’homme, car toujours elle garde un fil d’elle à lui, et si ce fil se rompait (il est parfois très ténu, mais c’est une force effroyable qu’il faudrait pour rompre le fil) ce serait terrible pour eux (pour elle et pour lui). Quand donc elle se trouve occupée à nager au loin, par ce simple fil qui lie l’homme à l’âme s’écoulent des volumes et des volumes d’une sorte de matière spirituelle, comme de la boue, comme du mercure, ou comme un gaz _ jouissance sans fin. C’est pourquoi le paresseux est indécrottable. Il ne changera jamais. C’est pourquoi aussi la paresse est la mère de tous les vices.
Car qu’est-ce qui est plus égoïste que la paresse?
Elle a des fondements que l’orgueil n’a pas.
Mais les gens s’acharnent sur les paresseux. Tandis qu’ils sont couchés, on les frappe, on leur jette de l’eau fraîche sur la tête, ils doivent vivement ramener leur âme. Ils vous regardent alors avec ce regard de haine, que l’on connaît bien, et qui se voit surtout chez les enfants.
Nous avons vus dans les articles sur le catharisme comment les « dogmes » et le « pouvoir » peuvent transformer les hommes, tous les hommes en d’horribles bourreaux pour leurs frères.
Un poète du moyen âge (1431-1463) à su écrire la cruauté avec des mots qui résonnent encore à nos oreilles : François de Montcorbier dit : François Villon précurseur des poètes maudits.
Villon a eu des démêlés avec la justice et a été une fois condamné à mort (il a été gracié par Louis XI). Peu après cette affaire où il échappe à sa pendaison, on perd sa trace.
Dans ce poème, Villon donne la parole à des suppliciés qui revendiquent le lien fondamental qui les unit à tous les êtres humains et qui en appelle à la miséricorde des vivants. Ce poème est un appel à la charité chrétienne, valeur très puissante au Moyen Âge. La rédemption est au cœur de la ballade. Villon reconnaît qu’il s’est trop occupé de son être de chair au détriment de sa spiritualité.
Ballade des pendus (version originale):
Frères humains qui après nous vivez
N’ayez les coeurs contre nous endurciz,
Car, se pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tost de vous merciz.
Vous nous voyez cy attachez cinq, six
Quant de la chair, que trop avons nourrie,
Elle est pieça devoree et pourrie,
Et nous les os, devenons cendre et pouldre.
De nostre mal personne ne s’en rie :
Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre!
Se frères vous clamons, pas n’en devez
Avoir desdain, quoy que fusmes occiz
Par justice. Toutesfois, vous savez
Que tous hommes n’ont pas le sens rassiz;
Excusez nous, puis que sommes transis,
Envers le filz de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l’infernale fouldre.
Nous sommes mors, ame ne nous harie;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!
La pluye nous a débuez et lavez,
Et le soleil desséchez et noirciz:
Pies, corbeaulx nous ont les yeulx cavez
Et arraché la barbe et les sourciz.
Jamais nul temps nous ne sommes assis;
Puis ça, puis la, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charie,
Plus becquetez d’oiseaulx que dez à couldre.
Ne soyez donc de nostre confrarie;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!
Prince Jhesus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :
A luy n’avons que faire ne que souldre.
Hommes, icy n’a point de mocquerie;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre.
Poème de François Villon entremêlé à un texte d’Épitaphe du dit Villon
Frères humains qui après nous vivez
N’ayez les cœurs contre nous endurcis
Car si pitié de nous pauvres avez
Dieu en aura plus tôt de vous merci
Vous nous voyez ci attachés cinq six
Quand de la chair que trop avons nourrie
Elle est pieça dévorée et pourrie
Et nous les os devenons cendre et poudre
De notre mal personne ne s’en rie
Mais priez Dieu que tous nous veuillent absoudre
Si frères nous clamons pas n’en devez
Avoir dédain quoique fûmes occis
Par justice toutefois vous savez
Que tous hommes n’ont pas bon sens rassis
Excusez-nous puisque sommes transis
D’envers le fils de la Vierge Marie
Que sa grâce ne soit pour nous tarie
Nous préservant de l’infernale foudre
Nous sommes morts âme ne nous harie
Mais priez Dieu que tous nous veuillent absoudre
La pluie nous a débués et lavés Et le soleil desséchés et noircis
Pies, corbeaux, nous ont les yeux cavés
Et arraché la barbe et les sourcils
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis ça puis là comme le vent varie
A son plaisir sans cesser nous charrie
Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre
Ne soyez donc de notre confrérie
Mais priez Dieu que tous nous veuillent absoudre
Prince Jésus qui sur tous a maîtrie
Garde qu’enfer n’ait de nous seigneurie
A lui n’ayons que faire ni que soudre
Homme ici n’a point de moquerie
Mais priez Dieu que tous nous veuillent absoudre
Mais priez Dieu que tous nous veuillent absoudre
L’amour n’a pas d’âge
L’amour n’a pas d’âge
Et la mer étale
Là-bas sur la plage
Non plus n’a pas d’âge
Les mots sont les mots
Toujours mal criés
Pourtant il faut bien
Se servir des mots
Qu’on nous a laissés
Écrits sur la vie
Criés dans les cris
Des amants lassés
L’amour n’a pas d’âge
Et la mer étale
Là-bas sur la plage
Non plus n’a pas d’âge
Le panorama qu’offre le monde objectif n’a aucun sens tant que nous ne sommes pas en interaction avec lui. Par exemple, un rocher devant lequel nous passons jour après jour mais que nous ne voyons pas : ce rocher n’a donc aucun sens pour nous. Si nous décidons de faire de ce rocher un objet de culte et de prier devant lui pendant des décennies, alors ce rocher devient vraiment important. Pour un profane qui ne souscrit pas au sens assigné au rocher, il continuera à n’être qu’un rocher. Dans tous les cas, le rocher est seulement un rocher. Seule l’interaction humaine a créé sa signification.
C’est une erreur d’affirmer que le sens que nous donnons à une chose est aussi concret et tangible que la chose elle-même. Par exemple, notre maison peut être précieuse pour nous, mais notre sens du précieux n’a rien à voir avec la construction. Il vient des valeurs et de la mémoire que nous lui associons. Si nous perdons notre maison, nous devons nous rappeler que c’est le sentiment que nous avons pour elle qui détermine notre perte, et pas seulement la construction en elle-même.
Si la perception de la réalité est subjective, quelques écoles de pensées suggèrent que nous devrions regarder toute chose comme irréelle. En opposition à ces courants, les adeptes du Tao considèrent que nous devons continuer à être en interaction avec le monde. Si nous ne prenons pas d’initiative en travaillant sur ces phénomènes que sont la projection de sens et la réception de son écho, nous tombons dans un état de sommeil, et le monde n’aura plus pour nous aucune existence. Tant que nous restons conscients que nous attribuons un sens subjectif aux objets, nous évitons les erreurs.
Je me couche toujours très tôt et fourbu, et cependant on ne relève aucun travail fatigant dans ma journée. Possible qu’on ne relève rien mais moi, ce qui m’étonne, c’est que je puisse tenir bon jusqu’au soir, et que je ne sois pas obligé d’aller me coucher dès les quatre heures de l’après-midi. Ce qui me fatigue ainsi, ce sont mes interventions continuelles. J’ai déjà dit que dans la rue je me battais avec tout le monde; je gifle l’un, je prends les seins aux femmes, et me servant de mon pied comme d’un tentacule, je mets la panique dans les voitures du Métropolitain. Quant aux livres, ils me harassent par-dessus tout. Je ne laisse pas un mot dans son sens ni même dans sa forme. Je l’attrape et, après quelques efforts, je le déracine et le détourne définitivement du troupeau de l’auteur. Dans un chapitre vous avez tout de suite des milliers de phrases et il faut que je les sabote toutes. Cela m’est nécessaire. Parfois, certains mots restent comme des tours. Je dois m’y prendre à plusieurs reprises et, déjà bien avant dans mes dévastations, tout à coup au détour d’une idée, je revois cette tour. Je ne l’avais donc pas assez abattue, je dois revenir en arrière et lui trouver son poison, et je passe ainsi un temps interminable. Et le livre lu en entier, je me lamente, car je n’ai rien compris… naturellement. N’ai pu me grossir de rien. Je reste maigre et sec. Je pensais, n’est-ce pas, que quand j’aurais tout détruit, j’aurais de l’équilibre. Possible. Mais cela tarde, cela tarde bien.