Où en serions-nous si tout avait pu être prouvé ?

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Interview de Castaneda par Kala Ruiz

Le 26 janvier 97 l’inattendu arriva: Castaneda apparut devant des milliers de personnes réunies pour un séminaire, afin de confirmer que le chemin du guerrier existe, que c’est une expérience possible qui peut être pratiquée par n’importe qui, par le biais de la Tenségrité. Le pittoresque personnage était là, le sorcier nagual. Tout petit et mince, avec des yeux d’aigle, riant joyeusement, jouant à inventer des instants, rompant le formalisme par des blagues intelligentes.(…)

Comment définiriez-vous don Juan, votre maître et ami ?

C’était un chaman, bien que lui me disait toujours : « Je ne suis pas un chaman, connard, je suis un sorcier ! »- Il était grossier.

Qu’est-ce que la sorcellerie ?

C’est l’art d’interrompre le flux du système d’interprétation…c’est une autre manière d’interpréter. Dans l’ancien Mexique, il y avait un « genre » entier qui se vouait à élargir les limites de la perception. Des choses incroyables pour le mental normal pouvaient arriver alors. C’étaient des êtres rituels, capables de cacher des choses d’une valeur inestimable.

Comment se manifeste cette sorcellerie ou magie ?

Nous pouvons percevoir l’énergie telle qu’elle circule dans l’univers. Pouvoir voir l’énergie, ne serait-ce qu’un instant, donne de la réintègration, quelque chose d’inouï se regroupe, nous n’avons pas de pratique. Cela se regroupe dans une autre perception et nous sommes face à un autre univers. Il y a des sorciers capables de faire des choses inouïes. Mais nous restons toujours avec des idées qui ne nous permettent pas de développer le potentiel humain, comme la science. On m’a dit: « ça n’est pas scientifique, Carlos, c’est de la pure superstition ! » Mais où en serions-nous si tout avait pu être prouvé ?

Quels furent les facteurs, dans votre enfance, qui vous ont mené à être le personnage que vous êtes aujourd’hui ?

Quand je fus conçu, il n’y eut pas d’excitation sexuelle, c’est pourquoi je suis sorti biscornu. Don Juan me disait: « Je vois que ta mère n’a même pas su ce qui lui arrivait ; elle n’a rien senti. Ton père n’aimait pas l’acte sexuel et ils t’ont conçu derrière une porte, c’est pourquoi tu es sorti petit et nerveux. Regarde-toi : tu agis toujours comme si tu étais poursuivi. Tu es toujours à la recherche de quelque chose, et tu te déplaces partout avec cette anxiété, parce que ta conception a été super-civilisée; c’est ce qui arrive à presque tout le monde. C’est pour ça qu’il t’est difficile de sauter dans l’intention des sorciers. Si tu veux être l’égal des gens conçus avec passion et qui sont capables de tout, qui ont une énorme énergie qui ne peut pas se perdre, se dissiper…ça va être difficile, parce que tu es le produit d’une baise ennuyeuse. Tu vas devoir faire un énorme travail pour remettre à leur place tous tes morceaux énergétiques afin de pouvoir sauter dans d’autres dimensions.

Pourquoi les élèves de don Juan furent-ils si peu nombreux ?

Don Juan ne voulait pas d’élèves placés sous les projecteurs parce qu’ils se seraient épuisés trop vite. C’est pourquoi moi, les trois sorcières : Florinda, Taisha et Carol, et les Chacmools, sommes en train d’essayer d’enseigner et de transmettre tous ses enseignements.

Nous savons que Carol Tiggs a disparu pendant des années de cette réalité, pouvez-vous nous dire quelque chose à ce sujet ?

Carol Tiggs…un être assez extraordinaire. Elle est partie…elle a disparu en tant que personne du monde quotidien. Cela peut sembler stupide, mais si nous suivons le raisonnement de don Juan, c’est tout ce qu’il y a de plus naturel. La Mer de la Conscience est là pour les sorciers, et nous pouvons l’utiliser comme moyen de…des choses irrationnelles peuvent arrivées. Disparaître est naturel dans notre monde cognitif. Carol Tiggs a été absente pendant 10 ans. Mais un jour, j’étais dans une librairie, fouinant, quand soudain…je vois une grosse tâche ambrée, la couleur de la discipline du sorcier.
La couleur ambre n’est pas naturelle…je me suis approchée de la grosse tâche, et j’ai commencé à distinguer comme un tunnel depuis lequel une silhouette avançait vers où j’étais…c’était Carol Tiggs ! Je ne savais pas où elle avait été pendant 10 ans. Notre nostalgie pour elle était telle, pour les trois qui étaient restés, que nous ne pouvions pas parler d’elle, ni penser à elle; c’était très dangereux. Mais maintenant elle est là et elle paraît avoir 25 ans. Elle a navigué dans une autre réalité.

Sommes-nous les héritiers de la connaissance de l’ancien Mexique ?
En vérité non, ça ne nous intéresse pas, nous avons d’autres priorités. Non, ce n’est pas son Mexique ni le mien, mais oui nous pouvons y avoir accès.
Quelle est la barrière, qu’est-ce qui nous retient ? Beaucoup de choses. Mais nous sommes les possesseurs d’un système extraordinaire. Mais que faisons-nous ? Nous nous saoulons, nous engloutissons n’importe quoi : de la nourriture, des pastilles…C’est ça l’amour personnel ? Nous sommes les plus égomaniaques, nous sommes régis par des idéaux qui n’ont pas de sens. Comment contribuons-nous à la connaissance, que voulons-nous de la vie ? Punaise! Quelle stupidité ! Je suis « old age » disait don Juan.

Que désireriez-vous faire de plus dans cette vie ?

Je dois découvrir tout ce que je peux pendant que j’ai cette conscience. Don Juan disait : « Je ne suis pas d’accord avec les accords auxquels je n’ai pas participé. Par exemple, la vieillesse, je n’ai pas accepté d’être vieux. C’est pourquoi je suis jeune, il est de mon devoir de le refuser. »

Que pensez-vous de l’égo, du moi ?

Don Juan disait qu’il n’y a pas à faire étalage de l’égomanie, du moi, moi, moi. On ne peut pas être sous les feux de la rampe tout le temps. Il me disait que j’étais un égomaniaque: « Plus on est petit, plus on est egomaniaque ». Pour lui, j’étais « Monsieur Cauchemar ».

‘Mais qu’est-ce que cela vous apporte don Juan, votre relation avec moi », je lui demandais. Il disait : « Beaucoup, chaque fois que je te vois j’ai la nausée; j’ai envie de vomir ; et tu as remarqué ? Tu vois ?…Tu me renouvelles. »

Je lui ai donné des années de bonheur, parce qu’il était plié de rire avec moi. Il ne laissait passer aucune opportunité pour m’enseigner quelque chose ; en plus, il se voyait toujours si jeune et moi si vieux, car je m’adonnais au vin et à la cigarette, j’allais chez lui à moitié assommé pour me donner du courage.

Un jour, don Juan m’a dit: « Nous allons partir dans la montagne 10 jours. De combien de paquets de cigarettes as-tu besoin? » – « Environ 10 », répondis-je.

« Très bien, dit-il, alors empaquettes-les soigneusement avec du ruban adhésif et compacte-les parfaitement pour que les coyotes ne les trouvent pas. »

Immédiatement après je me mis à préparer les paquets, en faisant plusieurs tours avec du ruban adhésif; j’inventai même un mécanisme où je laissai un trou pour y passer ma main, afin de pouvoir sortir un paquet, et une fois le paquet sorti, le tout pouvait rester à nouveau scellé, une merveilleuse invention ! Nous partîmes dans la montagne. Le deuxième jour au matin, mes paquets de cigarettes avaient disparu ; on voyait seulement les empreintes des coyotes et des paquets arrachés.

« Ah! Ne t’en fais pas, dit don Juan,  je ne crois pas qu’ils l’aient emporté bien loin. Nous allons chercher ton paquet de cigarettes.  »

Pendant huit jours nous avons cherché le paquet de cigarettes, en haut de la colline, en bas de la colline, en haut de la côte, en bas de la côte. Ma condition physique précaire était en train de me tuer, je marchais avec la langue pendante, jusqu’à ce que je m’allonge sur le sol en disant:
 » Je me rends, je n’en peux plus. »
« Tu ne veux plus chercher tes cigarettes ? », me demanda-t-il.
« Non, répondis-je, tout ce que je veux c’est survivre »(avec la gorge sèche, crachant du goudron).
« Très bien, dit-il, alors le voyage se termine ici ». Il entrouvrit quelques buissons et là, juste devant mon nez, apparut sa maison. C’était sa manière de transmettre ce qu’on ne peut interpréter. Là s’arrêta pour moi le vice de la cigarette et du vin, pour toujours. Il faisait ces choses…comme effiler mes pulls de Dinamarca et me remettre la pelote de fil. Pourquoi ? Pour que j’interrompe mon système interprétatif, pour me laisser libre, sans information et sans syntaxe.

Comment est la vie d’un sorcier ?

Si ce que vous faites n’a pas d’influence sur votre vie, ça ne sert à rien. Pour un sorcier c’est une aberration. Vous ne pouvez pas être érudit de 9h à 15h et être un pou le reste du temps. Vous devez être un guerrier impeccable à temps complet. Après avoir eu connaissance de ça, on doit se comporter avec impeccabilité. Don Juan disait qu’on ne peut pas insister sur les choses, elles arrivent d’une manière naturelle, si vous insistez, zou !, la magie s’arrête.

Que pensez-vous de cette vague de mécontentement envers le New Age ?

De quoi pourrais-je me préoccuper si à mon âge je suis old age ? La sorcellerie c’est être vieux et jeune en même temps. Le New Age, c’est de la connerie. Je ne peux pas me permettre le luxe d’être égomaniaque. Don Juan me l’a enlevé. Il me disait: « Ton égo est comme un clou, ça va te faire un peu mal, mais je vais te l’enlever. » Et…poum !, il me l’enlevait. Je lui disais : « Merci, je me sens bien. » – « Ne t’emballe pas…tu as 13 clous. » Parfois je lui disais : »Enlevez-moi un autre clou », et il me répondait : « Non, pas aujourd’hui. »

Vous avez laissé tomber l’anthropologie pour le chemin du nagual ?

J’ai laissé tombé l’anthropologie et tout ce qui incombe au monde quotidien, mais ça m’a donné quelque chose d’inouï : la lutte, le combat… l’objectif est à l’horizon, pas ici. Cessez d’être des hommes, des machos latins, lâchez les rennes. Votre mère vous a fait croire que vous étiez extraordinaire, parce que vous étiez un homme « pimenté ».

On vous a appris que les femmes étaient à votre service ; comme disait Aristote : « Les femmes sont des hommes impotents. » Le fait que beaucoup de femmes et Carol Tiggs soient meilleures que moi, ça c’est une révolution.

Quel était le but de don Juan en transmettant ses connaissances ?

Don Juan n’était ni un maître ni un gourou, il voulait perpétuer sa lignée. Et cette énorme responsabilité retomba sur moi. Mais je ne suis pas comme lui, je ne peux pas la perpétuer. Je suis même plutôt là pour fermer le cercle de la lignée…mais avec extrêmement d’élégance. Et avec les passes magiques de la Tenségrité qui sont une force agglutinante. On nous a enseigné 41 lignes entières de passes magiques. Je n’ai pas de secrets, je veux créer une « commotion cérébrale » pour que nous parvenions à une révolution énergétique.

Rien de old ou new age, pas de religion, rien…mais nous sommes intéressés à utiliser ces passes magiques vieilles de plusieurs milliers d’années ; elles ne peuvent plus rester avec nous. Nous les avons amalgamées ; cela fait 15 ans que nous pratiquons afin de voir si on peut créer un agglomérat de champs énergétiques. Je veux fermer la lignée avec une grande explosion, laissez-moi vous toucher, révéler, transmettre les connaissances.

En 1973, don Juan s’est transformé en lumière, en serpent à plumes. Lui et ses associés ont fait un tour final. Il arrive un moment où la Terre vous dit : « Tu es libre…va t’en ! » Une existence si énorme qui est consciente d’un microbe comme moi ! (presque en pleurant) Elle me transporte !…comme une mère pleine d’amour.

Comment traiter avec un égomaniaque ?

Don Juan disait : « Tu peux dire la pire des insultes aux gens, mais si tu le dis sur un ton d’adulation…ils restent enchantés. » Pour pouvoir être un guerrier, la première chose est de se détacher du moi personnel. A quoi bon se mettre en colère ? La bataille n’est pas ici, elle est à l’horizon.

Peut-on voler son énergie à quelqu’un  ?

Personne ne vole notre énergie, nous la dispersons.

Dans quelles parties du corps s’emmagasine l’énergie ?

Dans la vésicule, la rate, le pancréas, le foie et les glandes surrénales. L’oeuf lumineux qui est autour de tout le corps capte l’énergie et la charge dans ces organes. Les femmes ont un autre centre énergétique : l’utérus.

Qu’en est-il de la génétique ?

La commande génétique ne peut plus être la reproduction; la commande génétique aujourd’hui doit être l’évolution. La semence masculine est à un niveau très bas ; nous sommes sur le point de nous éteindre et nous restons pris dans des imbécillités.

Le dialogue intérieur est-il bien ou mal pour un guerrier ?

Il est toujours en faveur du moi. Il faut arrêter le dialogue à coups de pied, perdre l’importance personnelle. Comment ? Comme on peut.

Pourquoi les exercices de Tenségrité que vous allez enseigner à ce séminaire est-elle si importante ?

Parce qu’ils sont conçus spécialement pour la vallée de Mexico.

La Jornada – janvier 97

Amitiés

Claude Sarfati

MARIA SABINA (1896-1985)

María Sabina Sainte Mère des Champignons Sacrés

extraits de Mushroom Pioneers par John Allen

Plus de 40 ans ont passé depuis que l’éminent ethnomycologue R. Gordon Wasson débarqua dans le petit village Oaxacaïen de Huautla de Jiménez à la recherche de teonanácatl, le champignon magique du folklore Mésoaméricain. L’étude d’une vie des champignons et sa quête actuelle de 3 ans dans les collines autour de Oaxaca touchait à son terme sur le pas de la porte d’une petite hutte de terre dont les murs de boue séchée s’éfritaient et dont le toit de chaume était à moitié enfoncé.

Cette hutte fut de tous temps la demeure de Doña María Sabina, la curandera (Guériseuse) la plus connue de toute l’histoire.

Selon l’anthropologue Joan Halifax (1979), « Pendant des dizaines d’années elle avait pratiqué son art avec des champignons hallucinogènes, et des centaines de malades et de gens souffrants vinrent la voir dans sa misérable hutte pour ingérer les sacrements pendant qu’elle chantait durant toute la nuit devant son autel et dans l’obscurité ».

Etant d’âme noble, Doña María Sabina accueilli Wasson dans sa hutte et partagea les secrets des champignons sacrés. Comment pouvait-elle savoir que ce geste de générosité et de gentillesse simple, innocent, allait changer radicalement sa vie et le cours de l’histoire de manière défnitive.

Malgré les efforts de Wasson pour conserver le secret sur l’identité de Doña María Sabina, l’histoire de la sorcière Mazatèque et de ses champignons merveilleux se répandit en occident comme un feu de paille — depuis les amphithéâtres de Harvard jusque dans les ruelles de l’Amérique urbaine (quand R. Gordon Wasson écrivit pour la première fois dans Life Magazine sur María Sabina et ses veladas (13 Mai 1973), il se référait à elle comme à Eva Mendez, un pseudonyme sensé la protéger des curieux et autres chercheurs d’aventures qui auraient pu déranger ou perturber sa vie et celle de ses proches).

Wasson à Hautla Jimenez

L’histoire de Wasson piqua inévitablement la curiosité de beaucoup de gens. Dans l’espoir que le champignon soit un puissant outil de guerre chimique, la CIA envoya un agent sous couverture à Huautla de Jiménez pour collecter des spécimens (Marks, 1979).

De nouveau, Doña María Sabina partagea son secret. Que pouvait-elle faire d’autre ? Le champignon lui avait montré que les occidentaux ne la laisseraient jamais en paix. Avec réticence elle accepta l’évidence, mais avec chaque profanation des champignons sacrés elle pouvait sentir diminuer ses pouvoirs de guérison.

Elle savait que les occidentaux viendraient par douzaines (médecins, scientifiques, aventuriers, pélerins spirituels), tous à la recherche de la vérité, du salut, de la magie qui guérit, ou même de la face de Dieu. Faisant face à son destin avec résignation, Doña María accepta chaque chercheur las chez elle et réalisa pour eux la velada, la veillée de toute une nuit. Chaque fois elle donnait aux visiteurs ce qu’ils étaient venus chercher. Chaque fois elle donnait une petite partie d’elle-même.

Maintenant tout ce qui reste de Doña María, ce sont des souvenirs, des souvenirs de l’humble femme qui inspira les vies de Tim Leary, Ralph Metzner, Andrez Weil, Johnathan Ott et d’innombrables autres. Au delà de sa mémoire seuls les champignons restent, les petits outils magiques que Doña María avait passé sa vie à maîtriser. Maintenant qu’elle est partie, la seule manière de la retrouver c’est à travers eux, à travers les cérémonies sacrées des magiciens et guérisseurs Mazatèques.

Pouvez-vous vous imaginer son visage, sombre et ciselé avec l’âge ? Pouvez-vous entendre ses chansons et ses chants traversant l’obscurité totale de la nuit ? Son esprit est là dehors, pris dans une spirale sans fin de toutes les couleurs, de sagesse et de beauté. Son fantôme attend d’être entendu. Tendez simplement l’oreille …

ENFANCE

Wasson (Estrada 1976) rapporta que María Sabina était née le 17 Mars 1894. Selon les archives de la paroisse María fut baptisée exactement une semaine après sa naissance. Sa mère María Concepción dit que la naissance de sa fille fut le jour de la Vierge Magdalène (22 Juillet).

Selon des témoignages oraux donnés au Señor Alvaro Estrada, Doña María consomma pour la première fois les champignons sacrés avec sa soeur María Ana à un âge précoce (peut-être quelque part entre 7 et 9 ans). Doña María Sabina rappela qu’elle et sa soeur étaient dehors dans les bois surveillant les animaux de la famille quand elles s’arrêtèrent sous un arbre pour jouer avec les ombres comme les jeunes enfants le font souvent entre eux quand il n’y a pas d’adultes autour.

María regarda par terre et remarqua plusieurs champignons magnifiques poussant sous l’arbre. Elle réalisa que c’etaient les mêmes champignons utilsés par un curandero local, Juan Manuel, pour soigner les malades.

Doña María se pencha à terre et ramassa avec beaucoup de soin plusieurs champignons en s’exclamant « si je vous mange, toi et toi, je sais que vous me ferez chanter merveilleusement ». Elle les mastica doucement et les avala, poussant ensuite sa soeur María Ana à faire de même. Progressivement, la jeune María commenca à réaliser que les champignons contenaient une magie très puissante, une qu’elle n’oublierait jamais.

Durant les mois qui suivirent Doña María et sa soeur consommèrent les champignons plusieurs fois. Une fois leur mère les trouva en train de chanter et de rire gaiement et leur demanda « Qu’avez-vous fait ? ». Pour autant, elle ne fut jamais réprimandée pour avoir mangé les champignons parce que sa mère savait que réprimander peut entrainer des émotions contraires.

Selon Joan Halifax (1979), Doña María avait 8 ans quand son oncle tomba malade. De nombreux chamanes des Sierras environnantes autour de son village avaient essayé de le soigner avec différentes herbes, mais cela n’avait fait qu’empirer sa situation. Doña María se souvînt alors que les champignons qu’elle avait mangé en jouant avec sa soeur lui avaient dit de venir les chercher si jamais elle en avait besoin et qu’ils pourraient lui dire quoi faire si elle avait besoin d’aide.

Doña María alla collecter les champignons sacrés et retourna à la maison de son oncle où elle les mangea. Immédiatement Doña María fut entrainée dans le monde des champignons. Elle leur demanda ce qui n’allait pas avec son oncle et ce qu’elle pouvait faire pour l’aider à aller mieux. Selon Doña María, les champignons lui dirent qu’un « esprit maléfique » était entré dans le corps de son oncle et l’avait possédé. Il faudrait qu’elle lui donne une herbe spéciale, mais pas la même que celles que les autres chamanes et guérisseurs lui avaient donnés. Doña María demanda alors aux champignons où elle pouvait trouver cette herbe et les champignons lui dirent qu’il y avait un endroit dans les montagnes où poussaient de grands arbres et où l’eau du ruisseau était pure. A cet endroit, sur la terre, poussaient les plantes qui guériraient son oncle.

Doña María connaissait l’endroit que lui avaient montré les champignons et couru chercher les herbes depuis la hutte de son oncle. Comme les champignons le lui avaient montré, l’herbe était là. Quand elle fut de retour chez son oncle elle fit bouillir les herbes et en fit boire son oncle. En quelques jours son oncle était guérit, et María sût que cela allait devenir son mode de vie.

En grandissant, Doña María devint pleinement initiée dans son rôle de sabia (une sage). Elle devint vite respectée dans son village comme une sabia honnête et puissante, et pour la communauté, elle était une bénédiction pour ceux qui faisaient appel à ses services. Pendant des dizaines d’années elle pratiqua son art de la guérison, et d’innombrables centaines de malades et de gens souffrants recherchèrent sa magie.

A part ses 3 marriages pendant lesquels elle ne devait s’occuper que de son mari, elle continua ses pratiques sacrées durant toute sa vie.

Appartenant au peuple Mazatèque (parlant le Nahua), María Sabina réalisait ses cérémonies en mazatèque (dans le magazine This Week, Valentina Wasson écrivit que la cérémonie était faite en mixtèque). Comme le pseudonyme d’Eva Mendez que donna R. Gordon Wasson à María Sabina, l’article précédent fut également publié avec l’intention de préserver le secret sur son identité contre ceux qui auraient pu abuser de sa manière de vivre.

Comme beaucoup de chamanes, curanderos, et guérisseurs Mazatèques, María Sabina se référait aux champignons comme à xi-tjo, si-tho ou nti-xi-tjo, voulant dire « objets vénérés qui jaillissent au devant » (nti’ est une particule de profond respect et d’affection, et ‘xti-tjo’ signifie ce qui jaillit au dedans, ce qui surgit). Certains mazatèques disent des champignons: « le petit champignon vient de lui-même, personne ne sait d’où, comme le vent qui vient, on ne sait ni quand ni pourquoi ».

Les champignons sacrés utilisés par María Sabina pendant ses veladas nocturnes (veillées) sont normalement ramassés les soirs de pleine lune, bien qu’ils puissent parfois l’être pendant la journée. Les champignons ramassés sous la lumière lunaire étaient parfois collectés par une jeune vierge. Une fois ramassés ils doivent être amenés dans une église. Là ils sont placés sur l’autel pour être bénis par l’Esprit Saint.

Si la vierge qui les a ramassé tombe sur la carcasse d’un animal mort, un qui est mort sur le chemin qu’elle suit, elle doit alors jeter les champignons, et trouver un autre chemin pour retourner à l’endroit où poussent les champignons. Elle doir alors ramasser de nouveaux champignons frais et trouver une autre piste amenant à l’église, espérant et priant pour ne pas tomber sur un quelconque autre animal mort.

Une fois les champignons consacrés sur l’autel, ils sont prêts à être utilisés.

La velada commence dans l’obscurité totale afin que les visions soient claires et brillantes. Une fois les champignons reconnus et bénis par María Sabina, elle les fait passer doucement un par un à travers les volutes de fumée d’encens Copal. Les champignons sont toujours consommés en paires de deux, significant un mâle et une femelle. Chaque participant consomme entre cinq et six paires, bien que plus puissent être donnés si besoin est. Parce que les énergies spirituelles de la sabia doivent toujours dominer la velada, María Sabina consomme normallement deux fois plus de champignons que ses voyageurs, parfois jusqu’à douzes paires.

Suivant la tradition des chamanes et curanderas Mazatèques, María Sabina commence par mastiquer les champignons, les garde quelque temps dans sa bouche, et les avale alors. Les champignons doivent être consommés l’estomac vide et mangés dans une période de 20 à 30 minutes. Elle décide qui doit les prendre et les énergies spirituelles de la sabia dominent toujours la session. Ces sessions sont généralment conduites la nuit, dans l’obscurité totale afin que les effets visuels des champignons soient pleinement exprimés. Une ou deux bougies peuvent être utilisées mais c’est rarement utile. Pendant que les énergies des champignons se répandent dans les voyageurs spirituels, Doña María chante, tappe des mains et les frappe sur différentes parties de son corps, créant de nombreux sons différents pendant qu’elle invoque d’anciennes incantations.

Les chants rythmés remplissent alors tout l’espace de sa hutte et vont au-delà des murs vers les horizons lointains de l’infinité. Les chants sont utilisés pour invoquer le pouvoir des champignons et varient suivant les différentes maladies ou maux que la guérisseuse devra soigner. Ayant été une Catholique dévote tout sa vie, elle mélangeait souvent d’anciens rituels mazatèques avec des éléments du christiannisme, telle que l’Eucharistie de la religion catholique. Quand les champignons n’étaient pas de saison, María Sabina employait d’autres plantes sacrées avec des rites chrétiens.

Tous les témoignages sur María Sabina attestaient du fait qu’elle était une véritable femme humble et sainte. Wasson lui-même décrivit María Sabina comme une « femme sans tâche, immaculée, une qui n’a jamais déshonorée son appel en utilisant ses pouvoirs pour faire le mal… une femme d’une morale et d’un pouvoir spirituel rares, engagée dans sa vocation, une artiste dans la maîtrise des techniques de sa vocation » (Wasson, 1980).

Dans son village, María Sabina était exaltée comme une sabia (la sage), et était connue de beaucoup comme une « curandera de primera categoria » (guérisseuse de première catégorie) et comme « una señora sin mancha » (une femme sans tâche).

Le Père Antonio Reyes Hernandez est un homme de robe, un homme avec l’amour de Dieu en lui, et le prêtre qui s’occupait de l’eglise Dominicaine à laquelle appartenait María Sabina. En 1970, quand le Père Antonio venait de terminer sa première année en tant que prêtre de Huautla, Alvaro Estrada (1976) lui demanda si les anciens écclésiastiques de la hiérarchie de l’eglise s’opposaient aux rites païens des chamanes et sabias de Oaxaca et du reste du Mexique, comme l’avaient fait leurs prédécesseurs pendant 3 siècles. Le Père Antonio répondit que « l’Eglise n’est pas contre ces rites païens –si on peut les appeler ainsi. Les sages et guérisseurs n’entrent pas en compétition avec notre religion. Ils sont tous des religieux et assistent à nos messes, même María Sabina. Ils ne font aucun prosélitisme; ils ne sont donc pas considérés comme hérétiques, et il est très improbable qu’un anathème quelconque soit jeté contre eux ».

Le Père Antonio ne l’a jamais mise en garde ni ne la condamna jamais pour son travail au village. Il était conscient que ses rituels et ses pratiques lui avaient été léguées du fond des âges par ses ancêtres. Il savait également que ses services étaient des traitement valables pour ceux qui recherchaient ses talents chamaniques.

Le Père Hernandez reconnut toujours son travail avec les malades et les souffrants comme la marque d’un Chrétien véritable — une personne désireuse d’aider les moins chanceux. Bien qu’il sache que Doña María utilisait les champignons et des pratiques païennes pour soigner et guérir, il comprenait en même temps que la nature de María Sabina n’était pas celle d’un esprit démoniaque, ni satanique ou même hérétique. Il appréciait sa spiritualité et donait beaucoup de valeur à son travail en tant que membre ancienne et éminente de son église.

Un prêtre intéressé par l’expérience des effets visionaires des champignons alla voir María en demandant ses services. Mais il fut renvoyé chez lui car ce n’était pas la saison des champignons et il n’y en avait pas de disponibles pour la cérémonie. Le prêtre demanda à María Sabina si elle senseignerait ses talents à ses enfants. Elle lui répondit que ses talents ne pouvaient être enseignés aux autres mais seulement développeés par ceux dont la sagesse avait été atteinte naturellement. Mais pourtant on raconte qu’avant sa mort en 1985, Doña María passa la plus grante partie de ses dernières années à apprendre à d’autres son talent dans la communication avec les champignons.

De la même manière que Doña María croyait au pouvoir du Christ, elle croyait au pouvoir des champignons. Elle se donna elle-même à son église comme aux champignons. Pendant qu’elle travaillait pour l’église, sa messe était dite en latin et ses chants étaient toujours en Mazatèque, et il faut se rappeler que bien que Doña María n’écrivait pas, elle n’était pas illettrée.

Doña María remarqua vite que Wasson et ses amis, étant les premiers étrangers à rechercher « l’enfant saint » (les champignons), n’avaient aucune maladie ou mal-être à soigner. Ils venaient uniquement par curiosité, ou pour trouver Dieu. Avant que Wasson et les autres étrangers ne viennent à Huautla, les champignons avaient toujours été utilisés pour soigner les malades. Doña María entrevit la diminution de ses capacités à assumer ses fonctions.

Elle déclara que plus les étrangers venaient utiliser les champignons pour le plaisir ou « pour trouver Dieu », plus les champignons magiques se retiraient de son esprit. Son énergie, et l’énergie des champignons, étaient en train de s’évanouir progressivement.

Alors que María Sabina sentait que l’affaiblissement de ses pouvoirs et de sa relation avec les champignons était causée par les jeunes étrangers qui recherchaient frivolement et abusaient de la sainteté des champignons sacrés, il faut remarquer que rechercher et trouver son propre dieu peut également être une cure pour beaucoup des problèmes psychologiques, des ennuis et des faiblesses de l’humanité.

L’Arrivée des Etrangers

Au début, les premiers voyageurs qui vinrent à Oaxaca en quête des champignons sacrés étaient polis et aimables avec María Sabina. Ils montraient un respect mutuel pour son personnage. Beaucoup vinrent en apportant des cadeaux et de l’argent pour ses services. Doña María reçut beaucoup de gens (jeunes et vieux) chez elle et réalisa pour eux la cérémonie sacrée de ses ancêtres. Un des plus beaux cadeaux que l’on pouvait lui faire pour ses services était des photographies d’elle et de sa famille. Certains voyageurs lui offraient des cadeaux sans valeur et beaucoup d’autres des cadeaux qu’elle considérait sans valeur. Un touriste lui offrit son gros chien en paiement de son temps mais elle refusa. Elle était trop pauvre pour se permettre de nourir l’animal. Bien que pauvre, María Sabina était spirituellement riche.

Doña María se retrouva deux fois veuve dans sa vie, et une fois un de ses fils fut brutalement assassiné devant ses propres yeux. Elle déclara avoir vu le crime dans une vision avant qu’il n’arrive. Cela supporte l’idée de Wasson que les champignons ont des propriétés télépathiques. En 1984, María Sabina avait rencontré son troisième mari.

Sa maison de 3 pièces à Oaxaca où María Sabina réalisait ses cérémonies était faite de boue avec un toit de chaume et un sol poussiéreux. L’intérieur de sa modeste habitation dont les murs s’écroulaient avec l’âge était pourvu de sols de terre inégaux, presque sans meubles à part un autel des plus simples. Une bougie offrait la seule lumière vu qu’il n’y avait pas d’électricité. A quelques occasions on lui offrit un matelas ou deux mais elle acceptait rarement les cadeaux allant au-delà la valeur de ses besoins quotidiens.

Après que Wasson aie publié des articles sur la redécouverte des pratiques anciennes utilisant de manière rituelle des champignons hallucinogènes à Oaxaca, de nombreux jeunes étrangers des Etats-Unis, du Canada, d’Europe et d’Amérique du Sud, commencèrent leurs longues randonnées et leurs pélerinages penibles vers l’intérieur du Mexique.

Doña María remarqua bientôt que beaucoup d’indigènes et même de mexicains dégradaient ses coutumes en proposant des champignons aux touristes afin de pouvoir nourir leurs familles. Pendant cette période, beaucoup vinrent à la recherche des champignons, et aussi beaucoup ne vinrent que pour être renvoyés.

Vers 1960, María Sabina avait réalisé qu’elle était connue dans le monde entier. Cette nouvelle réputation lui donna beaucoup de peine et l’agonie qu’elle provoqua dans son âme était évidente dans ses yeux et sur son visage. Cela apporta le chaos et la profanation dans son village et sur son travail.

Le manque de respect voire l’irespect total avec lesquels les étrangers traitaient ses « enfants saints » ébranla les fondations mêmes de sa sagesse, de sa force et de sa parole. Comme pour les anciens mystères du « Temple de Dionysos » où le silence sur les rites anciens était la règle d’or, María Sabina déplora qu’avant l’arrivée de Wasson, « personne ne parlait ouvertement des ‘saint enfants’. Aucun mazatèque ne révélait auparavant ce qu’il savait à ce sujet.

Après que Wasson aie fait son premier voyage avec elle, tout le monde semblait la connaître et savoir ce qu’elle faisait. Quand Wasson fut présenté pour la première fois à María Sabina en 1955, c’était uniquement grâce à l’entremise de son ami Cayetano. Elle avait confiance en lui et senti que sa demande de rencontrer l’étranger qui avait voyagé de loin en quête d’une sabia était anodine. Jugeant de leur première rencontre, María Sabina cru que Wasson était un homme honnête et sincère et pensa qu’il respecterait son mode de vie et ne porterai jamais de honte sur son monde. Bien qu’elle aie accepté Wasson chez elle avec beaucoup de précautions quand Cayetano lui demanda, elle accepta par la suite beaucoup de gens chez elle, et elle en refusa également beaucoup.

María Sabina avait donné sa confiance à Wasson et ses amis, particulièrement quand elle les autorisa à l’enregistrer et à la photographier pendant une velada nocturne aux champignons. Elle donna à Wasson et à Alan Richarson, son photographe, la permission de raconter son histoire à d’autres. Doña María espérait que Wasson ne profane par son image ni ne divulgue son identité au monde d’une manière impropre. Parce que Doña María ne lisait ni n’écrivait (sa langue n’a pas de mots écrits), elle ne sût jamais exactement ce que Wasson avait écrit de sa vie.

En 1960, María Sabina avait décidé que « si des étrangers venaient la voir sans recommandation, alors que Wasson en avait une, bien sûr elle leur montrerait quand même sa sagesse.

Pendant l’été de l’amour de 1967, de nombreuse drogues et leur utilisation rampante se répandirent hors du quartier Haight-Ashbury de San Fransisco vers le reste de l’Amérique continentale. De nombreux jeunes hippies et de nombreux étudiants entreprirent le voyage au Mexique à la recherche des champignons magiques dont ils avaient lu quelque chose ou dont ils avaient entendu parler par des amis.

Doña María commenca alors à comprendre l’étendue de sa célébrité quand après des années elle se rappela le pélerinage de « ces jeunes gens aux cheveux longs qui venaient en quête de Dieu » mais à qui il manquait le respect des champignons et qui les profanaient largement. Plus tard María Sabina réalisa que « les jeunes gens aux cheveux longs n’avaient pas besoin d’elle pour manger les petites choses ». elle dit encore que « ces enfants les mangeaient n’importe où n’importe quand et ne respectaient pas nos coutumes ». Doña María ajoutait que « celui qui prend des champignons simplement pour en ressentir les effets peut devenir fou et le rester temporairement, mais juste pour un temps ».

Wasson reconnut les valeurs traditionnelles des motivations religieuses des chamanes et sabias Mazatèques quand il expliquait que « réaliser pour des étrangers est une profanation et qu’aujourd’hui la curandera qui, pour une somme d’argent, conduit le rite des champignons pour n’importe quel étranger est une prostituée et un fakir. Pourtant María Sabina réalisait des rituels pour des étrangers, parfois gratuitement parfois non. A certains moments, elle fut sensée faire payer des services qu’elle offrait auparavant gratuitement.

Un touriste américain prit trop de champignons et disjoncta complètement. Il causa « beaucoup de problèmes » et d’anxiété dans une communauté généralement calme et paisible. Un autre touriste, avec une dinde vivante entre les dents, courru comme un dératé dans les rues de Huautla. Cet incident nécessita l’intervention de la police locale qui l’arrêta avant qu’il puisse se mettre en danger lui-même ou les autres. Cet incident avec quelques autres, conduisit bientôt à l’expulsion de miliers d’aventuriers aux cheveux longs hors du Mexique.

Les actions de ces jeunes gens entrainèrent de nombreux scandales. A cause de l’influence de ces jeunes chercheurs de drogues, les autorités locales commencèrent à interdire l’utilisation des champignons. En 1976, les miliers d’envahisseurs étrangers commencaient à diminuer drastiquement, permettant aux federales de quitter progressivement la zone. Pour les indigènes de Oaxaca, les éléments négatifs avaient finallement disparu et la paix était de retour au village.

Pendant toutes ces années Doña María fut harassée de nombreuses fois par les autorités gouvernementales locales à cause de son utilisation des champignons sacrés avec les intrus étrangers. Plusieurs fois elle fut arrêtée et mise en prison à cause de ses activités et une fois sa maison fut entièrement abattue. Un journaliste qui l’interviewa en 1969 essaya d’intervenir pour l’aider. Il demanda personnellement au gouverneur de Oaxaca de « laisser en paix la chamane la plus célèbre du monde, que l’anthropologie et le désir de fuir la réalité avaient ruinés.

Comme indiqué précédemment, les authorités fédérales, armée et police inclues, commencèrent l’expulsion de centaines de jeunes voyageurs étrangers, qui venaient au Mexique « en quête des champignons et de Dieu ».

Doña María croyait dans la force sacrée des champignons avec le même entousiasme que de nombreuses personnes montrèrent pour « la Force » de George Lucas et Luke Skywalker. Les années passant après la première visite de Wasson à Huautla de Jiménez, Doña María sentait la force des champignons diminuer dans son esprit. Doña María réalisa qu’avec la venue de l’homme blanc, les champignons perdaient deleur sens. Doña María déclara « qu’avant Wasson, je sentais ‘l’enfant saint’ m’élever. Je ne le sens plus comme cela. La force a diminué. Si cayetano n’avait pas amené les étrangers…. ‘l’enfant saint’ aurait probablement gardé ses pouvoirs. A partir du moment où sont arrivés les étrangers, ‘les enfants saints’ ont perdu leur pureté. Ils ont perdu leur force; les étrangers les ont gaspillés. A partir de maintenant ils ne seront plus d’aucune utilité. Il n’y a aucun remède contre cela. »

Cette révélation de la part de María Sabina sonne assurément très vrai. La cueillette des champignons par de banals chercheurs de sensations fortes est bien répandue sur toute la planète. Apolonio Teran, un ancien sabio (homme sage) fut interviewé par Alvaro Estrada. Estrada lui posa la question de la dé-sanctification des champignons par leur cueillette, se demandant si les champignons étaient toujours considérés comme une source de médecine sacrée et puissante.

Apolonio déclara que « le champignon divin ne nous appartient plus aux indiens de mésoamérique. Son langage sacré a été profané. Le language a été souillé et il est indéchiffrable pour nous…. Maintenant les champignons parlent NQUI LE Anglais. Oui, c’est la langue que parlent les étrangers…. Les champignons ont un esprit divin. Ils l’avaient toujours eu pour nous, mais les étrangers sont arrivés et lui ont fait peur… » Plus tard, Wasson (1980) s’accorda sur le fait que « depuis que l’homme blanc est venu chercher les champignons, ils ont perdu leur magie. » Cela pourrait signifier que la magie est définitivement partie pour les chamanes et les indigènes qui vénéraient les champignons. Wasson pensait que María Sabina disait la vérité. Abondant dans le sens de sa sagesse, Wasson dit que « une pratique poursuivie en secret pendant 3 siècles ou plus vient d’être éventée et cette aération porte sa fin ».

Avant sa mort en Décembre 1989, Wasson pensait qu’il était seul responsable et coupable pour ce qui doit assurément être appelé la fin triste et tragique d’une culture, dont les traditions et les usages comprenaient l’utilisation sacrée de Teonanácatl et se sont développés et entretenus pendant presque 3 millénaires. Il semble aujourd’hui que l’utilisation de champignons parmi les peuples indigènes de Mésoamérique soit dans son stade final d’extinction. Bientôt l’utilisation culturelle des champignons et d’autres plantes sacrées pourrait disparaître de la surface de la terre.

L’approche éloquente de Wasson pour présenter le monde de María Sabina au public est sans aucun doute irréprochable. Il présenta l’histoire unique de María Sabina et de ses champignons sacrés. Ses écrits nous ont emmenés là où aucun homme n’était encore jamais allé et il a offert au monde son histoire comme personne ne l’aurait fait. Wasson amena María Sabina et son monde sous la vision de l’oeil public. Il parla de ses chants, de sa manière de vivre, de son raisonnement, et de sa magie avec les membres de son village, tous ceux qui la visitaient recherchant ses conseils et sa divination. Wasson rendit compte de ses vertues avec le plus grand des respects et le plus fin des regards, et ce qu’il coucha sur le papier ne fut rien d’autre que la vérité qu’elle lui révélait telle que lui la voyait et l’entendait.

Wasson savait que María Sabina était nécessaire à l’équilibre naturel de sa communauté. Il avait pour cette femme et son travail une révérence extrême et profonde. En même temps il montrait certains aspects de sa spiritualité sans porter la honte sur son héritage. Il la présenta au monde avec l’intégrité enchanterresse que portaient ses écrits. Les découvertes de Wasson en Mésoamérique et ses interprétations intégrales sont ce que María Sabina aurait écrit et décrit si elle avait pu.

A cause de l’intrusion de Wasson dans sa vie et des myriades d’autres qui suivirent, une partie du monde et du mode de vie de María Sabina furent enlevés. Pour autant, les vastes trésors de connaissance ethnomycologique que Wasson sorti de son monde ne devinrent publics que parce qu’elle les partagea avec des étrangers. Cette connaissance va désormais rester comme un morceau de l’histoire, parce qu’il a été enregistré par un homme honorable qui se souciait de ce qu’il observait et vivait, et qui l’écrivait.

María Sabina était de nombreuses choses : une femme de la terre, une mère, une sabia, une poète, une aide, une croyante, une femme déterminée, et une curandera qui se tenait sur la frontière même de son univers et entrevoyait les secrets et le sens de la vie. Doña María a partagé ses secrets de la connaissance et de la magie des plantes avec le monde extérieur. Seulement grâce à l’espoir et à la prière, la bonne volonté qu’elle a offert au monde sera complètement comprise et appréciée. A travers la persistance et la détermination de R. Gordon Wasson à suivre son rêve de la piste des champignons sacrés, Doña María a véritablement présenté à l’humanité une clé magique, les champignons, touchant à quelques réponses plausibles à certains des mystères de nos débuts religieux, et peut-être de l’origine de notre terre.

Doña María est peut-être partie, mais son esprit et sa sagesse restent. Tendez la main et attrapez cette sagesse qu’elle était si désireuse de partager. Prenez-la avec délicatesse et partagez-la avec amour et respect. Pouvez-vous voir son visage dans le noir ? Entendez-vous ses chants?

Amitiés

Claude Sarfati

« QUE RESTE-T-IL DES HUICHOLS ? » (4)

La vie des Huichols est désormais menacée par la mondialisation économique et leur acculturation possible

. Depuis 2009 le gouvernement mexicain a accordé 6000hectares aux entreprises minières canadiennes pour exploiter des mines d’argent. C’est une menace directe sur les ressources naturelles (nappes phréatiques) et culturelles ,le site de Wirituka n’étant qu’à quelques kilomètres. Surtout les indiens, comme les inuit ou les aborigènes australiens entretiennent une relation sacrée avec la terre et les éléments naturels. L’exploitation minière serait donc pour eux un sacrilège et une atteinte à leur identité spirituelle.

 

Dans Le Point du 20/01/2012, JMG  LE CLEZIO Prix Nobel de littérature, (dont il faut lire le Rêve Mexicain) a lancé l’appel suivant à la communauté internationale :

« L’Histoire bégaie, on le sait. Parfois, il y a tellement d’insupportable dans ce bégaiement qu’on ne peut l’accepter. Le génocide amérindien fut organisé pour une grande part à cause de la convoitise des conquérants pour l’or et l’argent, chose tellement incompréhensible pour les habitants du Nouveau Monde que certains (les Purepecha du Michoacan) se posèrent même la question : « Assurément, ces hommes doivent se nourrir de ces métaux pour les désirer à tel point. » Pour eux, ces métaux étaient « l’excrément du Soleil et de la Lune » et ne servaient qu’aux objets de culte.

Depuis 2009, la compagnie minière canadienne First Majestic Silver, spécialisée dans la prospection des métaux précieux, a pu racheter 22 concessions à l’ouest de l’Etat de San Luis Potosi, dans le nord du Mexique, dans une montagne nommée Cerro Quemado, près de la station de chemin de fer Real de Catorce. Cette montagne est depuis toujours le lieu mythique pour les Indiens Wixaritari – plus connus du grand public sous le nom de Huichols – où ils s’approvisionnent en peyotl pour leurs cérémonies de divination thérapeutique et leurs rituels liés au culte du Soleil.

 L’Histoire ici bégaie outrageusement : au XVIIIe siècle, les Huichols furent au centre d’une révolte contre le pouvoir colonial espagnol, car leur territoire était envahi par les prospecteurs – comme dans le cas de la ruée vers l’ouest, des aventuriers et des hommes de main de toutes origines, attirés par la perspective de riches filons. A la fin du XIXe siècle, un métis du nom de Manuel Lozada organisa une autre révolte pour défendre l’autonomie des peuples habitant l’Etat du Nayarit – Coras et Huichols -, et sa défaite sonna le glas de la relative liberté que les Indiens avaient acquise sur leur territoire. Fragilisée par les divisions, la population autochtone figure aujourd’hui parmi les ultimes résistants de l’indianité dans un monde de plus en plus conformiste et matérialiste.

Le projet de la First Majestic Silver n’arrive pas par hasard. La crise économique mondiale a donné un regain de popularité à la valeur refuge que constituent les métaux précieux. Mais la prospection et l’exploitation des anciens filons ne peuvent se faire actuellement que dans des conditions d’extrême agressivité : recherche en profondeur, éventration à la dynamite, utilisation de polluants (mercure et cyanure), rejets de boue contaminée qui mettent en danger la nappe aquifère. Partout dans le monde de tels projets sont combattus par les associations de protection de l’environnement – comme cela fut le cas récemment en France avec le projet minier de Salsigne (Aude), stoppé par les militants.

Cause juste. Que restera-t-il de la montagne sacrée des Huichols après de tels outrages ? Même si éventuellement le filon est abandonné faute de rentabilité (ou parce que le cours des métaux sera retombé), le mal sera irrémédiable. La montagne où les Indiens se rendaient chaque année au bout d’une longue marche pleine de souffrance et de mysticisme sera devenue un lieu dévasté, fracturé, violenté.

Certes, l’on peut regarder tout cela comme l’énième épisode de la défaite du monde amérindien traditionnel et penser que, après le génocide perpétré au XVIe siècle par les conquérants, ce drame est le dernier souffle qui éparpille dans l’oubli des peuples déjà devenus fantômes. Ce doit être, j’imagine, la réponse des ingénieurs et des dirigeants de la First Majestic Silver. Il y a quelques décennies, les compagnies qui éventrèrent le territoire des Indiens Navajos, au sud des Etats-Unis, ironisaient sur cette manie qu’ont les Indiens de considérer que le monde entier serait « terre sacrée ».

Mais la question n’est pas, qu’on y réfléchisse, seulement celle des Huichols et du Cerro Quemado. Il ne s’agit pas d’affirmer un privilège exotique en vue de maintenir une poignée d’hommes dans leur droit, contre l’abus d’une compagnie minière nord-américaine – même si, de toute évidence, la beauté, la pensée et la justice sont de leur côté. La question est de mettre un frein, chaque fois que cela est possible, à la rapacité des puissants exercée contre ce qu’il y a de précieux et d’unique – l’héritage, le respect, l’équilibre du monde -, mieux que des symboles, la substance vivante de notre commune humanité. Nous devons tous soutenir la juste cause des Huichols et demander au gouvernement mexicain d’annuler l’autorisation d’exploiter le Cerro Quemado accordée hâtivement à la First Majestic Silver. »

QUELQUES LIENS:

http://arutam.free.fr/Huichol.html.

http://aufildm.free.fr/index.html.

http://www.lebatondeparole.com/pages/general/histoire/les-huichols-d-amerique-du-sud.html

http://huichols.fr/

Source: REGARD ELOIGNE

Amitiés

Claude Sarfati

« QUE RESTE-T-IL DES HUICHOLS ? » (3)

« Pour moi le seul lieu du monde où dorment les forces naturelles qui peuvent être utiles aux vivants Je crois à la réalité magique de ces forces, comme on peut croire au pouvoir curatif et salutaire de certaines eaux thermales. Je crois que les rites indiens sont les manifestations directes de ces forces. Je ne veux les étudier ni en tant qu’archéologue ni en tant qu’artiste, mais comme un sage, au vrai sens du mot; et j’essaierai de me laisser pénétrer en toute conscience de leurs vertus curatives, pour le bien de mon âme. »Antonin Artaud Lettre Au Gouverneur Du Mexique 1936.

« Après des fatigues si cruelles, je le répète, qu’il ne m’est plus possible de croire que je n’aie pas été réellement ensorcelé, que ces barrières de désagrégation et de cataclysmes, que j’avais senti monter en moi, n’aient pas été le résultat d’une préméditation intelligente et concertée, j’avais atteint l’un des derniers points du monde où la danse de guérison par le Peyotl existe encore, celui, en tout cas, où elle a été inventée. »A.ARTAUD

« La danse du Peyotl est avant tout, pour Artaud, un moyen de ne plus être « Blanc » : c’est-à-dire « celui qu’ont abandonné les esprits ». Le rite du peyotl est l’expression même de la « Race Rouge », de la plus antique possession par les dieux. Mais pour Artaud, c’est aussi la révélation d’une poésie à l’état pur ; d’une création en dehors du langage : création des gestes et des rythmes de la danse ; création pure, pareille, dit-il, à une « ébullition ». Artaud pense alors trouver un art pur, dégagé de toutes les conventions sociales ; un théâtre à l’état originel. C’est ce qu’on sent notamment dans l’étrange texte-poème qu’Artaud a intitulé Tutuguri, d’après le nom de la danse de la chouette. Il s’agit d’un rêve sur la danse des Tarahumaras, hanté par l’image des croix de bois que les six hommes purs tiennent embrassées, comme pour les épouser. Image du feu initial qui sort du cercle des croix, pendant que le soleil a pris rang. « II a pris forme au milieu du système céleste. Il s’est placé tout d’un coup comme au centre d’un formidable éclatement. » Le battement des tambours et le bruit des sipirakas rythment le pas des hommes et le danseur, le corps taillé d’une balafre de sang, entre en extase ».JMG LE CLEZIO ANTONIN ARTAUD OU LE REVE MEXICAIN.

Le romancier IVAN ALECHINE a consacré un roman aux Huichols loin de toute nostalgie exotique : Pour le narrateur, Iman, poésie et environnement sont liés : si la terre se meurt, l’inspiration meurt aussi. Or, la terre se couvre de parkings, de routes, de béton. Il va donc chercher chez les Huichols, au cœur du Mexique, le renouvellement de ses sources. Ayant lu les livres de Carlos Castaneda, il se lance à la recherche de Don Juan Matus, « l’Indien solitaire ». Mais la réalité qu’il découvre est tout autre : les Indiens sont de pauvres gens que l’on pille, des barrages inondent leur terre, la déforestation avance et leur pensée, comme celle du héros, est menacée. C’est sans doute parce qu’il a perdu ses propres repères qu’Iman se sent si proche d’eux. Devant le désastre, la volonté de lutter s’affirme pourtant :

« Que reste-t-il des Huichols, ces indiens cousins des Aztèques ? Iman part au Mexique muni de quelques repères, d’idées générales à la recherche de  » la magie indienne, des pouvoirs paranormaux, d’illuminations exceptionnelles « . Iman part en fait sur les traces de Don Juan Matus, l’Indien solitaire de Carlos Castaneda. Sa quête d’une poésie indienne va se heurter aux murailles de la modernité. Un premier voyage le laisse bredouille. Bourré de peyotl, il viole le mont Leonax que les Huichols gravissaient pour rendre hommage au soleil levant. Et il redescend, hagard dans Real,  » Jérusalem blanche au milieu du chaos des montagnes « , une ville à l’abandon depuis la fermeture des mines d’argent. Les Huichol se dérobent, Iman persiste, à la recherche de sources sauvages d’inspiration. Castaneda le hante jusqu’à sa rencontre avec Randall, l’ex-beat américain qui lui sert de guide. Randall se méfie de ce touriste poète –  » No Art !  » – qu’il dépucelle illico sur ces Huichols sauvages : les enfants meurent sans être vaccinés, les propriétaires volent les terres, l’État construit routes et barrages qui strient le territoire des Huichols. Des poètes ? Mais les Huichols n’en ont pas besoin ! Eux-mêmes ne sont pas poètes.  » Ils sont tout sauf poètes ! Ils mènent une existence harassante, enchaînés à leur terre, et connaissent des difficultés insensées pour survivre. Il n’est pas drôle d’être un Huichol, un Huichol pour la vie, une sorte d’étranger dans son propre pays !  » Randall pourtant emmène Iman au pays des Huichols, un territoire de trois cents kilomètres jusqu’à la côte Pacifique. Ils participeront au pèlerinage du Voyage des morts. Iman découvre un peu de la vie des Huichol, fondée sur le mouvement comme leur religion l’est sur la nature :  » Une montagne, une source, une rivière, une forêt, un amas de granit ou une grotte sont des dieux. Ainsi, quand on détruit un endroit à la dynamite, c’est une divinité qu’on élimine de la surface de la terre.  » Et la route, c’est le début de la fin des Huichols. Cinq cents ans après Cortés, la guerre continue par les mots, par la rhétorique afin de faire croire à la modernité et de  » figer tout ce qui bouge, bétonner l’eau, pétrifier le vent, solidifier tout ce qui est volatil, construire des autoroutes, telle est l’idéologie espagnole : une bonne nature est une nature morte « . Et si le peuple Huichol a pu survivre, c’est uniquement dû à sa faculté de rompre et de s’échapper :  » Peu fiables, lâches, ils ont gardé leur autonomie…  » Le voyage ne sera pas vain, et Iman puisera une poésie de la vie derrière les cuirasses de la survie. Et comble du touriste, il promet de revenir aider Randall pour un reportage photographique. Il devient cette fois poète témoin ».

Les Voleurs de pauvres, Ivan Alechine, Éditions de la Différence,

Source: REGARD ELOIGNE

Amitiés

Claude Sarfati

« QUE RESTE-T-IL DES HUICHOLS ? » (2)

Aujourd’hui, les Huichols continuent pourtant de défendre leur territoire. Ils livrent bataille contre l’invasion des métisses ou d’autres indigènes de la Sierra, qui exercent une constante pression pour profiter des ressources de leurs terres. De plus, les différentes communautés huicholes sont en proie des querelles agraires dont la source remonte aux siècles précédents. Ils sont cependant connus pour avoir conservé leur culture, loin de l’influence catholique. Grâce à la poursuite de rites millénaires, ils tentent de conserver leur foi chamanique, un gouvernement théocratique et une agriculture d’autosubsistance aujourd’hui menacée.

Leur organisation géographique et politique reste, jusqu’à aujourd’hui originale. Elle est divisée en cinq grandes communautés. Chacune est autonome avec ses propres autorités civiles — le totohuani est un gouverneur nommé chaque année — et religieuses — les maraakates, ou maraakames sont des prêtres ou des chanteurs(en fait des chamanes) chargés de maintenir les traditions. Le Huichol traditionnel ne s’intéresse pas à l’accumulation des biens, mais reste en quête d’un contact direct avec le monde pour lui pénétré de surnaturel.

La vie se compose des esprits, de la nature et des hommes en un tout soudé et interdépendant. La religion étant intimement liée à la vie elle-même, dans de nombreuses cultures indiennes il n’existe aucun terme pour la désigner. Les forces qu’incarnent leurs divinités sont les forces mêmes de l’existence : forces du feu, de l’eau, des nuages, du vent, des arbres, des astres, qui représentent, sous des formes diverses, une même force naturelle. Les mots de polythéisme et de monothéisme n’ont donc pas de sens pour les cultures amérindiennes.

La terre est le plus souvent considérée, non pas comme la création d’une divinité, mais comme la divinité elle -même, et cette sacralisation donne un sens cosmique à leur enracinement territorial.. Le monde, pour les anciens mexicains, porte en lui, la force créatrice des dieux. Les indiens, à la différence des occidentaux recherchent plutôt le dessein de l’Univers, et considèrent donc les rites et la magie comme supérieurs aux sciences et aux arts.

« II reste aujourd’hui peu de chose du rituel chamanique pratiqué dans l’ancien Mexique. Le nahualli des Aztèques, le hmen des Mayas, le sikuame des Purepecha ont survécu à l’effondrement des concepts religieux indiens, peut-être parce que leur rôle caché les préservait. Sorcier, médecin, astrologue, le chamane est le symbole du contact direct de l’homme avec l’au-delà. Il est le devin, celui qui guérit ou qui ensorcelle, celui qui complote et qui révèle les pouvoirs surnaturels. Au chamanisme est liée la connaissance des plantes, et particulièrement des poisons et des hallucinogènes : peyotl, datura, champignons, et aussi yauhtli (l’encens) tabac, alcool…. »

« Mais plutôt que cette magie noire, c’est un système de pensée particulier qui inspire le chamanisme. Même les grandes civilisations théocratiques du Mexique, au temps qui précède la Conquête espagnole, sont sous l’influence du chamanisme. Les rites sanglants, les offrandes, l’usage du tabac et des hallucinogènes témoignent de l’importance des pratiques chamaniques. Avant toute divination, ou avant les cérémonies de curation, rapporte Pedro Ponce de Léon, le médecin faisait « un discours et une supplique au feu, puis versait un peu de pulque ‘ » selon un rituel qui est encore pratiqué aujourd’hui dans les cultures indiennes.

Dans les mythes survivent également les thèmes chamaniques. Dans le traité de Jacobo de la Sema, le mythe d’émergence aztèque est associé aux formules de curation, où l’utérus féminin est désigné sous le nom symbolique des « sept grottes ». Le combat de Tezcatlipoca-Titlacauan contre le héros Quetzalcoatl est l’expression mythique de la rivalité chamanique, comme l’est peut-être la fête du dieu Huitzilopochtli, où s’affrontaient des partialités dans un simulacre de combat qui se terminait par le sacrifice. La fête dédiée au dieu chichimèque Mix-coatl était l’occasion de sacrifices propitiatoires qui rappellent les rituels chamaniques, où les captifs, pieds et mains liés, jouaient le rôle des cerfs tués à la chasse…… »

« Chez les anciens Mexicains, comme chez les Purepecha, le chamane, et le nécromancien semblent avoir joué un rôle ambigu : à la fois redoutés et hais, ils sont souvent dénoncés et mis à mort (comme ils le seront plus tard par le tribunal de l’Inquisition). Pourtant, c’est l’esprit chamanique qui est resté vivace dans la pensée indienne. Le chamanisme exprime l’individualité de la foi religieuse, et surtout, cette nécessaire complémentarité des forces du bien et du mal qui est le fond des croyances amérindiennes. De plus, le chamanisme était l’adéquation de la ferveur religieuse aux structures sociales, correspondant aux divisions en fractions et en partialités. C’est pourquoi, malgré l’abolition du clergé et de l’autorité politique indigène, malgré l’interdit des cérémonies et la destruction des temples, les anciens rituels de curation chamanique purent survivre, et même, dans certains cas, s’adapter aux nouvelles lois et aux nouvelles croyances. Dans la plupart des sociétés indigènes du Mexique, le nahualisme, la divination et les rites hallucinatoires se sont maintenus, non comme des archaïsmes, mais parce qu’ils exprimaient la continuité du mode de pensée indigène, symbolique et incantatoire, une autre façon de percevoir le réel. C’est dans le nord et le nord-ouest du Mexique que le chamanisme s’est le mieux préservé, sans doute parce que les sociétés semi-nomades n’avaient pas développé une structure étatique ni un véritable clergé. Ces sociétés, fondées sur la famille, sur le clan, ou sur la tribu, valorisaient avant tout la liberté cultuelle, et les pratiques divinatoires. Dans ces sociétés, le chamane est presque toujours associé aux chefs de guerre, et c’est lui que les missionnaires chrétiens combattront sous le nom de hechicero (jeteur de sorts). »JMG.LE CLEZIO. le Rêve Mexicain

Le chamanisme, omniprésent, assure la transmission de la mythologie et des rites. WIRIKUTA « là ou est né le soleil »demeure le lieu sacré, centre de pèlerinages où se commémore le culte du Peyotl. Ce cactus hallucinogène est l’ingrédient d’une danse fameuse depuis sa description par Antonin Artaud. Chaque année, au mois de janvier, et ce depuis quelques trois mille ans, un long pèlerinage(La Chasse Au Cerf ») mène les Huichols sur les Hauts Plateaux de la Sierra Madre pour y récolter le peyotl. Cette cueillette exige une abstinence ascétique et un jeûne total de cinq jours, la seule nourriture autorisée étant le peyotl cueilli l’année précédente. Effectuée selon des rites précis, elle se termine par une fête sacrée, la fête du peyotl dieu.

Source: REGARD ELOIGNE

Amitiés

Claude Sarfati