Vous affirmez que la caractéristique basique des êtres humains est d’être des « perceveurs d’énergie ». Vous vous référez au mouvement du point d’assemblage comme à quelque chose d’impératif pour percevoir directement l’énergie. Comment cela peut-il être utile pour un homme du 21ème siècle ? D’après le concept précédemment défini, comment l’accomplissement de ce but peut-il aider à l’amélioration spirituelle ?
Les chamans comme don Juan affirment que tous les êtres humains ont la capacité de voir l’énergie directement telle qu’elle s’écoule dans l’univers. Ils croient que le point d’assemblage, comme ils l’appellent, est un point qui existe dans la sphère totale d’énergie de l’homme. En d’autres mots, quand un chaman perçoit un homme comme de l’énergie qui s’écoule dans l’univers, il voit une boule lumineuse. Dans cette boule lumineuse, le chaman peut voir un point d’une brillance plus intense, situé à la hauteur des omoplates, approximativement à un bras de distance derrière celles-ci. Les chamans maintiennent que la perception est assemblée à cet endroit ; que l’énergie qui coule dans l’univers y est transformée en données sensorielles, et que ces données sensorielles sont ensuite interprétées, donnant comme résultat le monde de tous les jours.
Les chamans affirment qu’on nous enseigne à interpréter, et donc on nous apprend à percevoir. La valeur pragmatique de percevoir l’énergie directement telle qu’elle s’écoule dans l’univers pour un homme du 21ème siècle, ou un homme du 1er siècle est la même. Cela lui permet d’élargir les limites de sa perception et d’utiliser cet élargissement à l’intérieur de son royaume. Don Juan disait que voir directement la merveille de l’ordre et du chaos de l’univers serait quelque chose d’extraordinaire.
Vous avez récemment présenté une discipline physique appelée Tenségrité. Pouvez-vous expliquer ce que c’est exactement ? Quel est son but ? Quel bénéfice spirituel peut obtenir une personne qui pratique individuellement ?
D’après ce que don Juan Matus nous a enseigné, les chamans qui vivaient dans l’ancien Mexique ont découvert une série de mouvements qui, lorsqu’ils sont exécutés par le corps, apportent de telles habiletés mentales et physiques qu’ils ont décidé d’appeler ces mouvements des passes magiques. Don Juan nous a dit qu’à travers leurs passes magiques, ces chamans avaient atteint un niveau accru de conscience qui leur permettait de réaliser d’incroyables exploits de perception. Au travers des générations, les passes magiques ne furent enseignées qu’aux praticiens du chamanisme. Les mouvements furent entourés d’un immense secret et de rituels complexes. C’est de cette façon que don Juan les a apprises, et c’est de cette façon qu’il les a enseignées à ses quatre disciples.
Notre effort a été d’étendre les enseignements de ces passes magiques à quiconque voudrait les apprendre. Nous les avons appelé Tenségrité, et nous avons transformés des mouvements pertinents à chacun des quatre disciples de don Juan en des mouvements généraux appropriés à tout le monde. Pratiquer la Tenségrité, individuellement ou en groupe, promeut la santé, la vitalité, la jeunesse et un sens général de bien-être. Don Juan disait que pratiquer les passes magiques aide à accumuler l’énergie nécessaire pour accroître la conscience et pour élargir les paramètres de la perception.
En dehors de vos trois cohortes, les gens qui assistent à vos séminaires ont rencontré d’autres personnes, comme les Chacmools, les Pisteuses d’Energie, l’Eclaireur Bleu…Qui sont-elles ? Font-elles partie d’une nouvelle génération de voyants guidée par vous ? Si c’est le cas, comment peut-on faire partie de votre groupe d’apprentis ?
Chacune de ces personnes est un être bien précis que don Juan, en tant que directeur de cette lignée, nous a demandé d’attendre. Il a prédit l’arrivée de chacun d’entre eux comme faisant partie intégrante d’une vision. Puisque la lignée de don Juan ne peut pas continuer, due à la configuration énergétique de ses quatre étudiants, leur mission de perpétuer la lignée a été transformée en fermer celle-ci, et si possible avec une fermeture en or. Nous ne sommes pas en mesure de changer de telles instructions. Nous ne pouvons pas non plus chercher ni accepter des apprentis ou des membres actifs de la vision de don Juan. La seule chose que nous pouvons faire est d’acquiescer aux desseins de l’Intention. Le fait que les passes magiques, gardées si jalousement durant de nombreuses générations, soient enseignées aujourd’hui, est la preuve que l’on peut, en effet, de façon indirecte, faire partie de cette nouvelle vision à travers la pratique de la Tenségrité et en suivant les prémisses du chemin du guerrier.
Dans « Les Lecteurs de l’Infini », vous avez utilisé le terme « naviguer » pour définir ce que font les sorciers. Êtes-vous sur le point de bientôt lever l’ancre pour débuter votre voyage définitif ? Est-ce que la lignée des guerriers toltèques, les gardiens de cette connaissance, va s’éteindre avec vous ?
Oui, c’est exact, la lignée de don Juan va finir avec nous.
Voici une question que je me suis souvent posée : Est-ce que le chemin du guerrier inclut, comme le font d’autres disciplines, un travail spirituel pour les couples ?
Le chemin du guerrier inclut tout et tout le monde. Cela peut être une famille entière de guerriers impeccables. La difficulté réside dans le terrible fait que les relations individuelles sont basées sur des investissements émotionnels, et dès le moment où le praticien pratique vraiment ce qu’il apprend, la relation s’effondre. Normalement, dans le monde de tous les jours, les investissements émotionnels ne sont pas examinés, et nous vivons notre vie entière en attendant qu’on nous rende la pareille. Don Juan disait que j’étais un investisseur intransigeant et que ma façon de vivre et de ressentir pouvait être décrite de manière simple : Je ne donne que ce que les autres me donnent.
Quelles aspirations d’avancement possible pourrait avoir quelqu’un qui désire travailler spirituellement, en accord avec la connaissance disséminée dans vos livres ? Que recommanderiez-vous à ceux qui désirent pratiquer eux-mêmes les enseignements de don Juan ?
Il n’y a aucun moyen de poser une limite sur ce qu’on pourrait accomplir individuellement si l’intention est une intention impeccable. Les enseignements de don Juan ne sont pas spirituels. Je répète cela parce que cette question revient encore et encore. L’idée de spiritualité ne colle pas avec la discipline de fer d’un guerrier. Le plus important pour un chaman comme don Juan est l’idée de pragmatisme. Quand je l’ai rencontré, je croyais être un homme pratique, un scientifique plein d’objectivité et de pragmatisme. Il a détruit mes prétentions et m’a fait voir qu’en tant que véritable homme occidental, je n’étais ni pragmatique ni spirituel. J’en suis venu à comprendre que je ne faisais que répéter le mot « spiritualité » pour le mettre en contraste avec l’aspect mercenaire du monde de tous les jours. Je voulais me sortir du mercantilisme de la vie de tous les jours et mon empressement à faire cela était ce que j’appelais spiritualité.
J’ai réalisé que don Juan avait raison quand il me demandait d’arriver à une conclusion ; définir ce que je considérais spirituel. Je ne savais pas de quoi je parlais. Ce que je dis peut paraître présomptueux, mais il n’y a pas moyen de le dire autrement. Ce que veut un chaman comme don Juan, c’est accroître sa conscience, c’est-à-dire, être capable de percevoir avec toutes les possibilités humaines de perception ; cela implique une tâche colossale et un objectif inflexible, qui ne peut pas être remplacé par la spiritualité du monde occidental.
Y a t-il quelque chose que vous aimeriez expliquer aux gens d’Amérique du sud, spécialement aux Chiliens ? Aimeriez-vous faire un autre commentaire en dehors de vos réponses à nos questions ?
Je n’ai rien d’autre à ajouter. Tous les êtres humains sont au même niveau. Au début de mon apprentissage avec don Juan Matus, il essayait de me faire voir comment est la situation de l’homme commun. En tant que Sud américain, je me sentais très impliqué, intellectuellement, dans l’idée de réforme sociale. Un jour, j’ai posé à don Juan ce que je pensais être une question cruciale : « Comment pouvez-vous rester indifférent face à l’horrible situation de vos frères humains, les indiens yaquis de Sonora ? » Je savais qu’un certain pourcentage de la population yaqui souffrait de tuberculose et que due à leur situation économique, ils ne pouvaient pas se faire soigner. « Oui, » a dit don Juan. « C’est une chose très triste mais, tu vois, ta situation est aussi très triste, et si tu crois que tu te trouves dans de meilleures conditions que les Indiens yaquis tu te trompes. De manière générale, la condition humaine est dans un horrible état de chaos. Personne n’est meilleur que qui que ce soit. Nous sommes tous des êtres qui vont mourir et, à moins que nous le reconnaissions, il n’existe aucun remède pour nous. » C’est un autre aspect du pragmatisme du chaman : devenir conscient que nous sommes des êtres qui allons mourir. Ils disent que lorsque nous faisons cela, tout acquiert une mesure et un ordre transcendantal.
Dernière partie d’un interview de Carlos Castaneda publié par le magazine: Uno mismo au Chili et en Argentine en février 1997.
Amitiés
Claude Sarfati