La psychologie peut-elle contribuer a la paix?

 

De France, d’Italie, de Suisse, ou plutôt du lointain univers de la perception extra-sensorielle, du très lointain univers de l’expérience visionnaire, du plus lointain univers de l’illumination libératrice, nous atterrîmes à Copenhague, plus précisément au Congrès de Psychologie Appliquée.

Qu’est-ce que la Psychologie Appliquée? Il est plus facile de demander: qu’est-ce qui n’est pas de la Psychologie Appliquée?

Réponse: a peu prés rien de ce qui concerne, du moins, le comportement individuel (statistiquement) normal. Ce vaste sujet était discuté, à Copenhague, par 1.300 délégués, qui écoutaient deux ou trois cents communications sur tous les problèmes concevables, depuis « Le dessin comme Expression de l’Estime de Soi » jusqu’à « Recherche Sociale dans l’Antarctique ».

Le monde est plein de tant de choses, les universités, pleines de tant de psychologues, que je ne peux guère rendre justice à tout ce qui fut dit et lu à Copenhague. Je me bornerai donc à la plus importante des questions, à celle, hélas! qui fut le moins expertement traitée, Est-ce que la psychologie peut contribuer à la détente internationale, à la solution des conflits, au maintien de la paix?

La conférence d’ouverture, faite par le professeur Osgood, ainsi que les textes lus le lendemain étaient pleins de suggestions intelligentes et humaines. On écoutait avec approbation, mais en même temps avec un doute obsédant. Est ce que les suggestions intelligentes et humaines seraient acceptées? Dans le climat historique et idéologique actuel, pouvaient-elles seulement être entendues? Il est évident que, comme le disait le docteur Baumgarten-Tramer, il existe une urgente nécessité d’appliquer les données de la psychologie au gouvernement des hommes. Mais est-il probable que les quelques douzaines de politiciens, de généraux, de technologues, à la merci desquels se trouvent les 2.900 millions d’humains, consentiront à aller à l’école et à apprendre la si indispensable psychologie des dirigeants? Ces quelques hommes monstrueusement puissants, maîtres des destins de l’espèce, sont eux-mêmes les prisonniers de traditions politiques et philosophiques qui, poussant sur le terrain de l’idolâtrie nationaliste et dogmatisme idéologique, ont inévitablement produit la guerre.

Le névropathe est un individu qui répond à la situation présente par des réactions obsessionnelles, orientées vers un passé maladivement persistant. Aussi longtemps que les sociétés obéissent à de vieilles notions fausses, fossilisées en dogmes, elles manifestent les symptômes d’une névrose collective, et les quelques hommes puissants entre les mains desquels l’humanité se débat sont les premières victimes de cette aliénation qui aveugle sur les réalités présentes.

Autrefois, quand le changement technologique et démographique était lent, les sociétés pouvaient s’offrir le luxe de la névrose collective. Aujourd’hui, le comportement politique dicté par l’obsession du passé, autrement dit par les vénérables traditions périmées, par les vieux concepts stupides, ou véritablement diaboliques, élevés au rang de principes imprescriptibles, est de nature tragiquement impropre à administrer le monde.

Quelle formidable machine que l’homme!

Article d’Aldous Huxley

Revue Planète 1962.