Ballade des pendus

françois villon3

Nous avons vus dans les articles sur le catharisme comment les « dogmes » et le « pouvoir » peuvent transformer les hommes, tous les hommes en d’horribles bourreaux pour leurs frères.

Un poète du moyen âge (1431-1463) à su écrire la cruauté avec des mots qui résonnent encore à nos oreilles : François de Montcorbier dit : François Villon précurseur des poètes maudits.

Villon a eu des démêlés avec la justice et a été une fois condamné à mort (il a été gracié par Louis XI). Peu après cette affaire où il échappe à sa pendaison, on perd sa trace.
Dans ce poème, Villon donne la parole à des suppliciés qui revendiquent le lien fondamental qui les unit à tous les êtres humains et qui en appelle à la miséricorde des vivants
. Ce poème est un appel à la charité chrétienne, valeur très puissante au Moyen Âge. La rédemption est au cœur de la ballade. Villon reconnaît qu’il s’est trop occupé de son être de chair au détriment de sa spiritualité.

Ballade des pendus (version originale):

Frères humains qui après nous vivez
N’ayez les coeurs contre nous endurciz,
Car, se pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tost de vous merciz.
Vous nous voyez cy attachez cinq, six
Quant de la chair, que trop avons nourrie,
Elle est pieça devoree et pourrie,
Et nous les os, devenons cendre et pouldre.
De nostre mal personne ne s’en rie :
Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre!

Se frères vous clamons, pas n’en devez
Avoir desdain, quoy que fusmes occiz
Par justice. Toutesfois, vous savez
Que tous hommes n’ont pas le sens rassiz;
Excusez nous, puis que sommes transis,
Envers le filz de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l’infernale fouldre.
Nous sommes mors, ame ne nous harie;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!

La pluye nous a débuez et lavez,
Et le soleil desséchez et noirciz:
Pies, corbeaulx nous ont les yeulx cavez
Et arraché la barbe et les sourciz.
Jamais nul temps nous ne sommes assis;
Puis ça, puis la, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charie,
Plus becquetez d’oiseaulx que dez à couldre.
Ne soyez donc de nostre confrarie;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!

Prince Jhesus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :
A luy n’avons que faire ne que souldre.
Hommes, icy n’a point de mocquerie;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre.

 
(Transcription : Lagarde et Michard)

ballade3

Bruegel, La pie sur le gibet (1568)

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Version Léo Ferré ( L’amour n’a pas d’âge)

Poème de François Villon entremêlé à un texte d’Épitaphe du dit Villon

Frères humains qui après nous vivez
N’ayez les cœurs contre nous endurcis
Car si pitié de nous pauvres avez
Dieu en aura plus tôt de vous merci

Vous nous voyez ci attachés cinq six
Quand de la chair que trop avons nourrie
Elle est pieça dévorée et pourrie
Et nous les os devenons cendre et poudre
De notre mal personne ne s’en rie
Mais priez Dieu que tous nous veuillent absoudre

Si frères nous clamons pas n’en devez
Avoir dédain quoique fûmes occis
Par justice toutefois vous savez
Que tous hommes n’ont pas bon sens rassis
Excusez-nous puisque sommes transis
D’envers le fils de la Vierge Marie
Que sa grâce ne soit pour nous tarie
Nous préservant de l’infernale foudre
Nous sommes morts âme ne nous harie
Mais priez Dieu que tous nous veuillent absoudre

La pluie nous a débués et lavés Et le soleil desséchés et noircis
Pies, corbeaux, nous ont les yeux cavés
Et arraché la barbe et les sourcils
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis ça puis là comme le vent varie
A son plaisir sans cesser nous charrie
Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre
Ne soyez donc de notre confrérie
Mais priez Dieu que tous nous veuillent absoudre

Prince Jésus qui sur tous a maîtrie
Garde qu’enfer n’ait de nous seigneurie
A lui n’ayons que faire ni que soudre
Homme ici n’a point de moquerie
Mais priez Dieu que tous nous veuillent absoudre

Mais priez Dieu que tous nous veuillent absoudre

L’amour n’a pas d’âge

L’amour n’a pas d’âge
Et la mer étale
Là-bas sur la plage
Non plus n’a pas d’âge

Les mots sont les mots
Toujours mal criés
Pourtant il faut bien
Se servir des mots
Qu’on nous a laissés
Écrits sur la vie
Criés dans les cris
Des amants lassés

L’amour n’a pas d’âge
Et la mer étale
Là-bas sur la plage
Non plus n’a pas d’âge

Leo Ferré (La violence et l’ennui 1979).

Bonne lecture, bonne écoute, bon dimanche: Claude Sarfati

Les Nourritures terrestres

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J’ai découvert les nourritures terrestres d’André Gide à 18 ans, ce livre très contesté à l’époque était tombé entre mes mains lors d’un voyage en Grèce. Heureusement, j’ai lu le livre avant de « juger » et à chaque soir, alors que j’avais entrepris de faire le tour de l’ile de Crète à pieds, je m’endormais repu des « Nourritures terrestres ».

 Extrait :

A dix-huit ans, quand j’eus fini mes premières études, l’esprit las de travail, le cœur inoccupé, languissant de l’être, le corps exaspéré par la contrainte, je partis sur les routes, sans but, usant ma fièvre vagabonde. Je connus tout ce que vous savez : le printemps, l’odeur de la terre, la floraison des herbes dans les champs, les brumes du matin sur la rivière, et la vapeur du soir sur les prairies. Je traversai des villes, et ne voulus m’arrêter nulle part. Heureux, pensais-je, qui ne s’attache à rien sur la terre et promène une éternelle ferveur à travers les constantes mobilités. Je haïssais les foyers, les familles, tous lieux où l’homme pense trouver un repos; et les affections continues, et les fidélités amoureuses, et les attachements aux idées – tout ce qui compromet la justice; je disais que chaque nouveauté doit nous trouver toujours tout entiers disponibles.

Nourritures !

Je m’attends à vous, nourritures !

Ma faim ne se posera pas à mi-route ;

Elle ne se taira que satisfaite ;

Des morales n’en sauraient venir à bout

Et de privations je n’ai jamais pu nourrir que mon âme.

Satisfactions ! Je vous cherche.

Vous êtes belles comme les aurores d’été.

 

Gide 4

 

« Ne désire jamais, Nathanaël, regoûter les eaux du passé.
Nathanaël, ne cherche pas, dans l’avenir, à retrouver jamais le passé. Saisis de chaque instant la nouveauté irressemblable et ne prépare pas tes joies, ou sache qu’en son lieu préparé te surprendra une joie autre.
Que n’as-tu donc compris que tout bonheur est de rencontre et se présente à toi, dans chaque instant comme un mendiant sur ta route. Malheur à toi si tu dis que ton bonheur est mort parce que tu n’avais pas rêvé pareil à cela ton bonheur – et que tu ne l’admets que conforme à tes principes et à tes voeux.
Le rêve de demain est une joie, mais la joie de demain en est une autre, et rien heureusement ne ressemble au rêve qu’on s’en était fait ; car c’est différemment que vaut chaque chose. » (page 39)

« Nathanaël, car ne demeure pas auprès de ce qui te ressemble ; ne demeure jamais, Nathanaël. Dès qu’un environ a pris ta ressemblance, ou que toi tu t’es fait semblable à l’environ, il n’est plus pour toi profitable. Il te faut le quitter. Rien n’est plus dangereux pour toi que ta famille, que ta chambre, que ton passé. Ne prends de chaque chose que l’éducation qu’elle t’apporte; et que la volupté qui en ruisselle la tarisse. » (page 44)

« Nathanaël, jette mon livre ; ne t’y satisfais point. Ne crois pas que ta vérité puisse être trouvée par quelque autre ; plus que de tout, aie honte de cela. Si je cherchais tes aliments, tu n’aurais pas de faim pour les manger ; si je te préparais ton lit, tu n’aurais pas de sommeil pour y dormir.
Jette mon livre ; dis-toi bien que ce n’est là qu’une des mille postures possible en face de la vie. Cherche la tienne. Ce qu’un autre aurait aussi bien fait que toi, ne le fais pas. Ce qu’un autre aurait aussi bien dit que toi, ne le dis pas, – aussi bien écrit que toi, ne l’écris pas. Ne t’attache en toi qu’à ce que tu sens qui n’est nulle part ailleurs qu’en toi-même, et crée de toi, impatiemment ou patiemment, ah ! le plus irremplaçable des êtres. » (Page 63, Envoi)

« Sache obtenir de toi ce qui rende la plainte inutile. N’implore plus d’autrui ce que, toi, tu peux obtenir.
J’ai vécu ; maintenant c’est ton tour. C’est en toi désormais que se prolongera ma jeunesse. Je te passe pouvoir. Si je te sens me succéder, j’accepterai mieux de mourir. Je reporte sur toi mon espoir.
De te sentir vaillant me permet de quitter sans regrets la vie. Prends ma joie. Fais ton bonheur d’augmenter celui de tous. Travaille et lutte et n’accepte de mal rien de ce que tu pourrais changer. Sache te répéter sans cesse : il ne tient qu’à moi. On ne prend point son parti sans lâcheté de tout le mal qui dépend des hommes. Cesse de croire, si tu ne l’as jamais cru, que la sagesse est dans la résignation ; ou cesse de prendre à la sagesse.
Camarade, n’accepte pas la vie telle que te la proposent les hommes. Ne cesse point de te persuader qu’elle pourrait être plus belle, la vie ; la tienne et celle des autres hommes ; non point une autre, future qui nous consolerait de celle-ci et qui nous aiderait à accepter sa misère. N’accepte pas. Du jour où tu comprendras que le responsable de presque tous les maux de la vie, ce n’est pas Dieu, ce sont les hommes, tu ne prendras plus ton parti de ces maux.
Ne sacrifie pas aux idoles. » (Page 246)

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Tous les textes cités sont extraits des Nourritures terrestres (1897) et des Nouvelles nourritures (1935), réunis dans le Folio 117. Les pages indiquées correspondent à l’édition de 1972.

Les nourritures terrestres: Lien

Bonne lecture, bon dimanche: Claude Sarfati.

Montségur

Montségur

 

Le 16 mars 1244, au pied de la forteresse de Montségur, plus de 200 hérétiques qui ont refusé de renier la foi cathare montent volontairement sur le bûcher. Leur martyre marque la fin de la croisade contre les Albigeois.

Résistance

Après vingt ans de violents combats, la croisade contre l’hérésie cathare avait abouti en 1229 à la soumission du comte de Toulouse. Mais les exactions des croisés venus du Nord suscitent la rébellion de nombreux chevaliers du Midi, les faidits. Ces seigneurs dépossédés par les croisés entrent en résistance au côté des hérétiques cathares. Bonshommes et faidits trouvent refuge auprès de forteresses comme Montségur, dont le seigneur est acquis à leur cause.

Fatal débordement

À 1207 mètres d’altitude, sur un piton rocheux au milieu des forêts de l’actuel département de l’Ariège, la forteresse de Montségur a été renforcée dès 1204 par le seigneur du lieu, Raymond de Péreille, à la demande de la communauté cathare.

À l’intérieur de l’enceinte vivent une centaine d’hommes d’armes (des faidits), leurs familles, ainsi que le seigneur du lieu, Raymond de Pareille. À l’extérieur, au pied des murailles, s’est constitué un véritable village cathare de 600 habitants avec son évêque, ses diacres et ses fidèles.

Le roi de France, qui n’est autre que Louis IX (plus tard Saint Louis), n’a aucune envie d’user son armée dans la conquête de Montségur aussi longtemps que celle-ci ne lui cause aucun tort. Chacun s’accommode donc du statu quo… jusqu’à un jour de mai 1242 où les chevaliers de Montségur apprennent que tous les inquisiteurs de la région ont fait halte dans un village voisin pour y passer la nuit.

Ces chevaliers ont tous des comptes à régler avec l’Inquisition et, à la différence des cathares, ne se dispensent pas de tuer quand l’envie leur en vient. Le 29 mai 1242, une trentaine d’entre eux, sous le commandement d’un seigneur dont la femme et la fille ont été torturées et brûlées par l’Inquisition, se ruent sur le village d’Avignonet, près de Castelnaudary. Dans la nuit, ils massacrent les onze inquisiteurs dont leur chef, le tristement célèbre Guillaume Arnaud.

Le pape exige aussitôt qu’il soit mis fin à l’impunité de Montségur, qualifiée de «synagogue de Satan». S’ouvre le dernier acte de la croisade des Albigeois.

Un siège de dix mois

Le roi de France envoie à Montségur une armée de 4.000 hommes sous le commandement du sénéchal Hugues des Arcis. Mais la citadelle, sur son piton calcaire, est remarquablement défendue et n’est accessible que par un étroit sentier (celui qu’empruntent aujourd’hui les touristes).

Elle ne peut non plus être atteinte par les pierres propulsées du bas de la colline par les catapultes.

Après plusieurs mois d’un vain siège, le sénéchal choisit d’attaquer la citadelle à l’endroit le plus difficile d’accès… et donc le moins défendu. Pour parfaire la surprise, il n’hésite pas à s’y prendre pendant l’hiver 1243 (la nuit même de Noël, assurent les croisés !).

Une quinzaine de Gascons, sans doute conseillés par un habitant de la région, escaladent la falaise à l’endroit dit «Roc de la Tour». Ils amènent bien évidemment avec eux leurs armes. Pour juger de l’exploit, il faut savoir que cette falaise est aujourd’hui classée hors-catégorie par les spécialistes de l’escalade !

Les grimpeurs arrivent à une barbacane, un petit poste de défense avancé situé sur la crête à 1500 mètres du château proprement dit. Après avoir égorgé les sentinelles, ils font monter des menuisiers et sans attendre assemblent des machines de jet. La citadelle et ses dépendances ne tardent pas à être bombardées de pierres. Les combats au corps à corps se multiplient par ailleurs aux abords des murailles.

Les effectifs des défenseurs fondent si bien que le 1er mars, après une ultime tentative de sortie, le seigneur du château, en accord avec les chefs cathares, décide d’entamer les négociations. Hugues des Arcis, homme du roi, homme d’honneur (rien à voir avec un Simon de Montfort), accorde aux vaincus des conditions généreuses. Elles tiennent en quatre points:

– liberté pour tous les défenseurs catholiques,
– vie sauve pour les hérétiques qui se convertiront sincèrement,
– pas de pillage,
– délai de deux semaines avant la mise en oeuvre des précédentes conditions.

Le délai accordé aux assiégés va exciter plus tard la curiosité des chercheurs de trésor : les cathares en auraient-ils profité pour mettre à l’abri un hypothétique «trésor» ? L’hypothèse s’appuie sur une chronique de l’époque faisant allusion à quatre cathares s’étant enfuis avec un sac. On peut cependant penser que le sac contenait tout simplement des provisions pour une longue période de clandestinité…

Comme prévu, la citadelle se livre le 16 mars 1244 après un siège exceptionnellement long de dix mois. Plus de deux cents cathares, hommes et femmes, refusent de renier leur foi (leur nombre exact demeure inconnu). Ils sont menés vers un bûcher géant aménagé au pied de la forteresse, en un lieu aujourd’hui connu sous le nom de «Prats dels Crémats» (Champ des Brûlés). Selon d’autres hypothèses, ils auraient été suppliciés à 60 kilomètres de là, dans le village de Bram

Épilogue

Avec la chute de Montségur, il ne subsiste pratiquement plus rien de l’hérésie qui avait pendant quelques décennies menacé l’unité de la Chrétienté occidentale. Un demi-siècle plus tard, les inquisiteurs auront raison de ses derniers fidèles dans quelques villages reculés des Pyrénées comme Montaillou, devenu célèbre avec le livre que lui a consacré en 1975 l’historien Emmanuel Leroy-Ladurie.

La France de langue d’oc se rallie sans réticence à la monarchie capétienne. Le temps de la réconciliation arrive et les seigneurs méridionaux suivent avec dévouement le roi Louis IX dans ses folles croisades à Damiette, en Égypte, puis à Tunis.

Jean-François Zilberman

 

Bonne lecture, bonne écoute, bon dimanche: Claude Sarfati

L’inquisition

inquisition

Le 20 avril 1233, le pape Grégoire IX confie à un tribunal d’exception dénommé Inquisitio hereticae pravitatis le soin de démasquer et condamner, dans tout le royaume de France, les hérétiques et les catholiques non sincères.

Ce tribunal de l’Inquisition, qui relève seulement du pape, a pour but d’éviter les excès et l’arbitraire de la justice seigneuriale ou épiscopale. Il tire son nom de la procédure inquisitoire : les juges engagent la procédure et cherchent eux-mêmes les suspects d’hérésie sans attendre une dénonciation ou une plainte de quiconque.

Il va s’avérer d’une efficacité redoutable dans la chasse aux cathares du Midi de la France et s’acquérir très vite une réputation détestable.

L’Église et les hérétiques

Aux premiers siècles de la chrétienté, l’institution ecclésiastique s’en tenait à des peines spirituelles comme l’excommunication contre les personnes qui s’écartaient de la foi. La plupart des Pères de l’Église condamnaient toute forme de sanction physique à leur égard. Pour leur part, beaucoup d’empereurs et de rois, à partir de Constantin 1er, assimilent le rejet de la foi officielle à un crime de lèse-majesté et ne se privent pas de condamner les coupables à la confiscation de leurs biens, à la prison voire à la mort.

Au XIIe siècle encore, l’Église s’en tient au sage principe édicté par Bernard de Clairvaux : fides suadenda, non impodenda («la foi doit être persuadée, non imposée»).

Aux alentours de 1200, tandis que de puissants courants mystiques irriguent l’Église, comme l’ordre cistercien de Saint Bernard ou les ordres mendiants de Saint François d’Assise et Saint Dominique de Guzman, d’autres s’en écartent comme le catharisme. Cette hérésie se propage rapidement en Italie du Nord et surtout dans le Midi de la France. Elle est réprimée par une croisade brutale et ses fidèles subissent les foudres de la justice seigneuriale. La papauté se voit obligée d’intervenir pour limiter les abus de celle-ci.

En 1231, avec la constitution Excomunicamus, le pape Grégoire IX codifie la répression. Il définit les peines qui frappent les hérétiques où que ce soit :
– le bûcher pour ceux qui s’obstinent dans l’erreur,
– la prison ou une peine canonique (pèlerinage, jeûne….) pour les hérétiques qui se repentent,
– l’excommunication pour les catholiques qui les auraient aidés.

Comme il n’est pas question que l’église donne la mort, en vertu du principe Ecclesia abhorret sanguinem, c’est au bras séculier (la justice seigneuriale ou royale) que sont remis les condamnés voués au bûcher.  Saint Thomas d’Aquin justifiera plus tard la peine capitale en estimant qu’il est plus grave de travestir la foi que de fabriquer de la fausse monnaie (un crime également passible de la mort).

Le 11 octobre 1231, le pape Grégoire IX confie à un prêtre, Conrad de Marbourg, le soin d’appliquer la constitution dans le Saint Empire romain. Très vite, ses excès fanatiques et la multiplication des bûchers soulèvent l’indignation générale, y compris des évêques allemands. Il est assassiné le 30 juillet 1233. C’en est fini de la justice d’exception au nord des Alpes.

Entre-temps, le 20 avril précédent, le pape a créé pour la France le tribunal de l’Inquisition et l’a confié aux frères prêcheurs de l’ordre monastique de Saint Dominique, de meilleure réputation que Conrad de Marbourg.

La délation au service de la vérité

Quand, dans une région donnée, l’inquisiteur ouvre une enquête, il commence par un prêche. Il publie un «édit de foi» à l’attention des catholiques, les invitant à dénoncer les hérétiques sous peine d’excommunication et un «édit de grâce» laissant aux hérétiques quelques jours pour se dénoncer et se repentir sous peine de bûcher. Les suspects sont parfois mis au secret pendant plusieurs jours et privés de nourriture. Ils sont avertis qu’ils pourront bénéficier de la clémence des juges à condition de se repentir et de tout dire sur leur entourage.

La méthode est efficace : chacun ayant à cœur de sauver sa peau n’hésite pas à charger ses voisins, voire ses parents ou ses amis… Ce d’autant plus qu’à partir de 1252, la torture est autorisée par une bulle du pape Innocent IV sous certaines limites : elle ne doit déboucher ni sur une mutilation ni sur la mort et les aveux obtenus sous la torture doivent être renouvelés après celle-ci pour être valables.

Au cours de l’instruction, les accusés disposent toutefois de recours. Ils bénéficient d’un défenseur, peuvent produire des témoins à décharge et même récuser leurs juges.

La sentence est prononcée au cours d’une séance publique et solennelle, après consultation de nombreux clercs civils et religieux. Cette séance est appelée en France «sermo generalis» et sera plus tard désignée en Espagne par l’expression célèbre «auto da fe» (acte de foi).

A quelques exceptions près, les tribunaux de l’Inquisition pontificale témoignent d’une relative mansuétude et 2% des procédures aboutissent à une peine séculière (bûcher). Pour le reste, les condamnés subissent des peines religieuses : aumônes, pèlerinage, prières…. Dans le Midi de la France, l’inquisition débouche sur une extinction de l’hérésie cathare au début du XIIIe siècle.

Dès le siècle suivant, l’Inquisition pontificale tombe en désuétude et, dans des pays comme la France, c’est aux tribunaux séculiers qu’il revient désormais de juger les hérétiques.

En 1542, le pape Paul III établit à Rome la «Sacrée Congrégation de l’Inquisition romaine et universelle» pour juger en appel les procès d’hérésie… Il lui revient de juger l’astronome Galilée en 1633. Son appellation est changée en «Sacrée Congrégation du Saint-Office» en 1908 par Pie X puis en «Congrégation pour la doctrine de la foi» en 1967 par Paul VI. C’est cette institution qu’a dirigée le cardinal Josef Ratzinger avant d’être élu pape en 2005 sous le nom de Benoît XVI.

L’Inquisition espagnole

L’Inquisition médiévale retrouve une deuxième jeunesse de l’autre côté des Pyrénées, en Espagne, en 1478, quand les souverains Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille obtiennent du pape le droit de nommer eux-mêmes des inquisiteurs pour juger les conversos, des musulmans ou des juifs officiellement ralliés au christianisme mais restés fidèles à leurs rites religieux.

L’Inquisition devient dès lors un organisme étroitement inféodé au pouvoir royal et celui-ci en use pour consolider l’unité fragile du royaume. Elle traque non seulement les faux convertis mais aussi les supposés sorciers, sodomites, polygames….

Le dominicain Tomas de Torquemada, premier inquisiteur général de 1483 à 1498, se signale par ses excès, lesquels vont jusqu’à susciter la réprobation du pape Sixte IV. Il aurait envoyé pas moins de 2.000 personnes au bûcher.

Au siècle suivant, l’Inquisition sévit contre les protestants et va jusqu’à inquiéter les mystiques catholiques Saint Jean de la Croix et Sainte Thérèse d’Avila ! Elle est définitivement abolie en Espagne et dans les colonies espagnoles en 1834. On lui attribue dans le monde hispanique environ trente mille condamnations à mort en trois siècles (c’est à peu près autant que de victimes de la guillotine ou d’autres formes d’exécution pendant la Révolution française). –

Jeanne Lafont, d’après l’excellent article du Dictionnaire de Michel Mourre (Bordas)

 

Bonne lecture, bon dimanche: Claude Sarfati.

La croisade des albigeois

croisade des alibigeois

La croisade contre les albigeois, prêchée par le pape Innocent III contre les hérétiques cathares et vaudois du Languedoc (terme qui n’apparaît qu’à la fin du XIIIe siècle dans l’administration royale) et contre les seigneurs et villes qui les soutenaient, a duré de 1209 à 1229. Elle a été menée d’abord par des seigneurs de la France du Nord avec des armées internationales, puis par le roi de France Louis VIII en 1226 et officiellement terminée par le traité de Meaux-Paris (1229) entre le roi de France (Saint Louis enfant sous la régence de Blanche de Castille) et le comte de Toulouse Raimond VII.

Philippe Auguste, luttant contre l’Angleterre et contre l’Empire, et le plus souvent en mauvais termes avec la papauté, n’avait pas voulu intervenir directement en Languedoc, se contentant d’y sauvegarder la suzeraineté française. Son fils, Louis VIII (roi de 1223 à 1226), après avoir repris le Poitou aux Anglais (1224), se tourna vers le Midi, auquel il s’était vivement intéressé dès le règne de son père. Après l’excommunication de Raimond VII par le concile de Bourges, le 28 janvier 1226, et le ralliement de nombreux seigneurs méridionaux, il répondit à l’appel du pape en s’emparant des terres des Trencavel et du Languedoc septentrional et oriental rattachées au domaine royal (sénéchaussées de Beaucaireet de Carcassonne) mais renonça à attaquer Toulouse.

À partir de 1229, la lutte de l’Église contre les hérétiques prit la forme de l’Inquisition, organisée par le pape Grégoire IX en 1233 et confiée aux ordres mendiants – et surtout aux dominicains. Elle se heurta à une résistance clandestine. Il y eut pourtant des violences dans les villes, à Narbonne (1233-1235), à Cordes (1233), à Albi (1234), et surtout à Toulouse d’où les dominicains furent expulsés en novembre 1235. Les victoires de Saint Louis sur les Anglais à Taillebourg et à Saintes persuadèrent le comte, qui avait repris la lutte, de faire la paix avec le roi (1242). Désormais et jusqu’à sa mort, il lui resta soumis et persécuta à son tour les hérétiques.

Un millier de cathares s’étaient réfugiés dans le château de Montségur, vaste forteresse sur un piton dans le comté de Foix. Montségur résista près d’un an, du 13 mai 1243 au 14 mars 1244. Les deux cents hommes et femmes qui y étaient restés et qui refusèrent d’abjurer le catharisme furent brûlés le 16 mars 1244. Cet épisode militaire local marque traditionnellement la fin de la résistance armée des cathares. Une auréole légendaire continue d’entourer cet épilogue héroïque et tragique de la croisade contre les albigeois.

Si la croisade favorisa le rattachement du Languedoc à la France du Nord, cette intégration du Midi à un ensemble national ne lui apporta pas que des avantages. Plus que les destructions et les aspects d’exploitation coloniale qui accompagnèrent l’installation des gens du Nord en Languedoc, c’est la pétrification, par la croisade, de faiblesses autochtones séculaires qui accrut sa stagnation économique et sociale. La lutte victorieuse contre l’usure supprima des abus, mais stérilisa aussi beaucoup d’activités précapitalistes englobées par l’Église dans sa réprobation de l’usure. L’installation de l’administration française augmenta le parasitisme urbain au détriment du développement des campagnes et provoqua la prolifération d’un secteur tertiaire envahi par toute une catégorie de rentiers, d’hommes de loi, de fonctionnaires, et par un clergé triomphant et pullulant.

Cette perversion de l’idéal de la croisade (il y faut ajouter l’antisémitisme importé par les croisés dans le Midi) et les abus de l’Inquisition qui la prolongea jetèrent, dès le XIIIe siècle, le discrédit sur la chrétienté. Ce discrédit contribua à saper l’unité morale d’un monde où, à l’image du destin du Languedoc, l’évolution historique tendait, certes, à constituer de plus grands ensembles nationaux, mais au détriment de l’unité chrétienne.

Bonne lecture, bonne écoute, bon dimanche: Claude Sarfati.