…Dogen-Zenji dit: « Le temps va du présent au passé. » Ceci est absurde, mais dans votre pratique c’est parfois vrai. Au lieu de progresser du passé au présent, le temps remonte du présent au passé. Yoshitsuné était un célèbre guerrier du Japon médiéval. A cause de la situation du pays à cette époque, il fut envoyé dans les provinces du nord, où il fut tué. Avant de partir, il dit adieu à son épouse, et, peu après, elle écrivit dans un poème: « comme on déroule le fil d’une bobine, je veux voir le passé devenir le présent. » Par ces mots, elle rendit effectivement le passé présent. Dans son esprit, le passé devenait vivant et était bien le présent. Ainsi comme disait Dogen: » Le temps va du présent au passé. » Dans notre esprit logique, ceci n’est pas vrai, mais ceci l’est dans l’effective expérience de transformation du passé en présent. Là nous avons la poésie, et là nous avons la vie humaine.
Quand nous faisons l’expérience de cette sorte de vérité, cela veut dire que nous avons trouvé la vraie signification du temps. Le temps passe constamment du passé au présent et du présent à l’avenir. Ceci est vrai, mais il est vrai aussi que le temps va de l’avenir au présent et du présent au passé. Un maître Zen dit autrefois: » Faire un kilomètre à l’est, c’est faire un kilomètre à l’ouest. » Ceci est la liberté essentielle. Nous devrions acquérir cette liberté parfaite.
Mais la liberté parfaite ne se trouve pas sans quelques règles. Les gens, surtout les jeunes, pensent que la liberté consiste à ne faire que ce qu’ils veulent, que dans le Zen les règles sont inutiles. Mais il nous est absolument nécessaire d’avoir quelques règles. Cependant, cela ne signifie pas être toujours sous contrôle. Tant que vous avez des règles, vous avez une chance d’être libre. Essayer d’obtenir la liberté en ignorant les règles ne veut rien dire. C’est pour acquérir la liberté parfaite que nous pratiquons Zazen.
Pratique Juste
La pratique de Zazen est l’expression directe de notre vraie nature. Au sens strict, pour un être humain, il n’y a pas d’autre pratique que cette pratique; il n’y a pas d’autre manière de vivre que cette manière de vivre.
LA QUESTION DU LIBRE ARBITRE a été discutée à travers les siècles par tous les philosophes sans qu’aucune conclusion ne fasse l’unanimité. Et les plus grands sages de l’Inde paraissent se contredire, affirmant que tout est œuvre de la seule shakti (énergie divine) mais proposant une pratique personnelle qui met en jeu l’initiative individuelle.
Il y a une approche relative: est-ce que je peux gagner en liberté intime? Et il y a une approche radicale, plus délicate à comprendre car cette question du libre arbitre, nous la posons à partir de la conviction de l’ego individualisé- le moi et le non-moi – qui est une forme d’erreur fondamentale, Arthur Osborne, un disciple anglais de Ramana Maharshi qui a passé dix ans dans son ashram du vivant de celui-ci a écrit plusieurs livres, a utilisé une image du temps de la T.S.F. où les postes de radio étaient volumineux, avec de grosses lampes à l’intérieur. Imaginons, dit-il, qu’un indigène d’une tribu du fin fond de la forêt vierge, qui n’a jamais eu la moindre notion d’électricité ni la moindre idée de ce qu’est un poste de radio, entende une voix de femme qui sort de cette énorme boîte. Cette personne demande « la dame qui est dans la boîte, est-ce qu’elle décide des chansons qu’elle veut chanter » -auquel cas elle aurait un libre arbitre- « …ou est-ce qu’elles lui sont imposées? » La réponse se situe à un autre niveau: « il n’y a pas de dame dans la boîte. » Vous n’êtes pas beaucoup plus avancés, mais c’est un point de départ de réflexion: toute cette question du libre arbitre se pose à partir de la conviction de l’ego -moi, tout ce que je suis, tout ce que je ne suis pas, mon passé, mon futur, mes relations avec les autres- et cette identification à l’ego est une illusion dont on peut s’éveiller. Telle est la réponse ultime…
Pour Beauvois, 43 ans, ce film délivre « la parole d’intelligence« des moines: « Une parole qui dit qu’il ne faut pas avoir peur des autres, il faut juste se parler. C’est un message d’égalité, de liberté, de fraternité ». L’occasion, pour le réalisateur d’une mise au point : « Je n’ai pas envie que dans la campagne électorale qui arrive, on dise du mal des Français musulmans. J’ai envie qu’on soit avec eux, c’est la leçon de ce film », a-t-il insisté.
Michael Lonsdale, interprète de Frère Luc dans le film, a enfin été récompensé, pour la première fois à près de 80 ans, par le César du meilleur second rôle : « Ah petit coquin, tu en as mis du temps ! » a-t-il souri, avant d’ajouter aussitôt : « Mieux vaut tard que jamais.
Prix du jury très mérité au dernier Festival de Cannes, Des hommes et des dieux retrace le parcours des moines de Tibéhirine pendant les mois qui ont précédé leur assassinat en 1996, depuis le moment où ils sont devenus la cible des extrémistes du GIA jusqu’à celui où ils ont été enlevés, avant de disparaître dans des circonstances qui restent aujourd’hui encore à élucider. Leur cheminement spirituel est le sujet de ce long-métrage, le cinquième de Xavier Beauvois, à qui l’on doit Nord, un premier film d’une âpreté poignante, puis d’autres comme N’oublie pas que tu vas mourir ou Le Petit Lieutenant.
D’abord plongés dans le chaos par la peur qu’a engendrée chez chacun la perspective de sa propre mort, et qui a d’abord fait chanceler la cohésion du groupe, ces sept hommes ont finalement pris collectivement la décision de ne pas plier devant la violence. Refusant de piétiner l’idéal de fraternité auquel ils ont voué leur vie, ils ont choisi de rester dans le monastère plutôt que de rentrer en France comme on les poussait à le faire, certains en ayant d’ailleurs eu la tentation. Ils n’ont pas davantage accepté la protection que leur proposait l’armée.
Les dieux étant nombreux, ce qui intéresse le cinéaste dans cette tragédie relève moins du martyre des moines, que de la conscience – éthique, politique – des hommes qu’ils sont, et des questions existentielles que pose leur confrontation avec cette force armée qui piétine tout ce en quoi ils croient. Comment éprouver la liberté ? Qu’est-ce qu’une communauté ? Peut-on être soi en niant l’existence d’autrui ?
On peut, on doit, même, envisager ce film comme une profession de foi. Mais c’est dans le cinéma que Beauvois a toujours placé la sienne, et qu’il la place ici plus que jamais. Confiant dans le talent de sa chef opératrice, Caroline Champetier, dans celui de ses acteurs dont il a visiblement obtenu une adhésion totale, il signe une mise en scène puissante et dépouillée, délibérément lyrique, en s’inspirant du mode de vie hyperritualisé de l’ordre cistercien-trappiste auquel appartenaient les moines de Tibéhirine.
Maestria soufflante
La prière, les chants à l’unisson, les réunions au cours desquelles se prennent, à l’issue d’un tour de parole et d’un vote, les décisions engageant la vie de la communauté, et qui témoignent ici de la réduction progressive des antagonismes vers une communion spirituelle, structurent le film. Mais la place est faite, aussi, aux moments partagés avec les villageois (travail de la terre, dispense de soins, fêtes familiales…), dans le respect de l’islam.
Ou encore à des tête-à-tête, comme celui dans lequel Frère Luc, le médecin (Michael Lonsdale, à son meilleur), explique à Frère Christian, le chef de la communauté (Lambert Wilson, qui révèle dans ce film un charisme totalement inédit), qu’il ne craint nullement la mort. Au moment de quitter la pièce, la voix étouffée dans un petit sourire malicieux, il a cette phrase merveilleuse qui est aussi bien le programme du film : « Laissez passer l’homme libre… »
Les plans parlent d’eux-mêmes, chaque détail enrichissant le récit sans qu’il soit besoin de commentaire. Le partage d’un plateau de frites, la lecture à haute voix d’une chronique de L’Equipe, ou celle, pour soi, des Lettres persanes, suffisent à poser une atmosphère, une idée, une personnalité. Cette même économie narrative permet de donner leur place à sept personnages principaux – ce n’est pas rien -, sans parler des autres, les villageois, ou les terroristes du GIA dont l’irruption rompt brutalement l’harmonie ambiante.
Après avoir ordonné à tous les étrangers de quitter le pays, après avoir égorgé, aux abords du village, un groupe de Croates, ils frappent à la porte du monastère une nuit de Noël, exigeant de Frère Christian qu’il mette son médecin à leur disposition. Le refus que celui-ci leur oppose, et qu’il redouble en n’acceptant pas non plus de leur donner les médicaments destinés aux villageois, signe, il le sait, son arrêt de mort et celui de ses frères, à court ou à moyen terme.
S’en remettant à la majesté aride des paysages de l’Atlas (marocain pour le tournage), à l’épure laiteuse des robes des moines, à la rythmique du rituel, Xavier Beauvois joue avec les travellings avec une maestria soufflante, fait le grand écart entre Sergio Leone, Coppola et Pasolini, conduisant son film vers un final extravagant, à multiples détentes.
Deux scènes en particulier, qui figurent l’aboutissement de la communion spirituelle des moines en icône de la résistance, témoignent d’une audace peu commune dans le cinéma français d’aujourd’hui. La puissance qui s’en dégage conduit à se demander si, à l’heure des échanges mondialisés, il n’y a pas un effet libérateur à raconter des histoires qui s’affranchissent des frontières hexagonales.