L’homme d’après l’homme…

Avouons cependant que, dans le domaine religieux, le P. Teilhard avait quelque raison d’admettre que ses supérieurs hiérarchiques connaissaient aussi bien, sinon mieux que lui, les textes de saint Paul et qu’ils ne jugeraient pas que des théories directement inspirées par cet enseignement traditionnel par excellence seraient estimées dangereuse pour la foi chrétienne.

Pourtant ce n’est pas sans surprise que l’on constate sur ce point que les adversaires du P. Teilhard ne semblent pas avoir compris que toute la pensée religieuse qu’ils croyaient devoir censurer dépendait d’un clef, aussi précise que l’organicisme sur le plan scientifique. Cette seconde Clef de l’œuvre du P. Teilhard est la conception paulinienne de l’ OIKONOMIA « , l’  » économie « du mystère. Ne s’agit ‘il pas, en effet, dans l’essentiel des thèses teilhardiennes, « de mettre en lumière l’économie du Mystère depuis les siècles en Dieu qui a tout créé, afin que soit maintenant connue aux puissances et aux principautés dans le ciel, la multiple sagesse de Dieu, selon cette disposition qu’il a prise depuis toujours en le CHRIST-Jésus Notre Seigneur (Epître aux Ephésiens).

En effet, le mot grec  » OIKONOMIA  » signifie le plan de l’Œuvre Divin, sa « dynamique » propre et qui tient entre deux limites clairement indiquées par saint Paul dans la première lettre aux Corinthiens (XV, 45): il est écrit (Genèse II, 7): « Le premier homme, Adam, devint une âme vivante ». Le dernier Adam sera un esprit vivifiant. Mais ce n’est pas le spirituel qui est premier, mais le psychique (l’animé), ensuite, le spirituel. Le premier homme est de terre, fait de poussière; le deuxième homme est  du Ciel.

Il est, certes, fondamental d’observer que, dans la Bible, l’expression: « Ame vivante » est appliquée aux animaux eux-mêmes. En d’autres termes, c’est une affirmation constante dans la tradition judéo-chrétienne que tout ce qui appartient à l’ordre BIOLOGIQUE est COMMUN à l’homme et aux autres règnes; l’animation, au sens biblique, est LA FONCTION  » SELON LA CHAIR ». Dans la mesure où le psychique est coextensif au biologique, l’un n’est que l’avers d’une médaille dont l’autre demeure le revers.

Or, le biologique étant issu du géologique, ses racines se trouvent dans la terre, dans « la poussière », terme qui doit être compris ici comme « la semence ». Entre la granitisation des continents et le lent processus de « conscientisation », au sens teilhardien, il n’y a que des différences de niveaux d’émergence mais non pas d’essence. Ce qui est « selon la chair » est nécessairement selon la Terre.

Souce: Les deux clés de Teilhard de Chardin par Thomas Thibert

Revue PLANETE  OCT / NOV 1961

Amitiès: Claude Sarfati.

 

Une Physique et une Philosophie Nouvelles

Le propre de l’organicisme, théorie à laquelle est attaché surtout le nom du grand biologiste Ludwig Von Bertalanfly, est de se distinguer du Mécanisme et du Vitalisme par de nombreux points mais notamment en ce qui concerne l’affirmation que la conscience n’est pas un épiphénomène ni un méta phénomène. Telle est aussi, presque textuellement, la position prise par Pierre Teilhard de Chardin dans un ouvrage encore inédit: « Le phénomène spirituel« :

« Je me propose dans ces pages de développer une troisième perspective vers laquelle semblent converger de nos jours une Physique et une Philosophie nouvelles: à savoir que l’Esprit n’est ni un surimposé, ni un accessoire dans le cosmos mais qu’il représente tout simplement l’état supérieur pris en nous et autour de nous par la chose première, indéfinissable et que nous pouvons appeler, faute de mieux, « l’étoffe de l’Univers ». Rien de plus; mais aussi rien de moins. L’esprit n’est ni un méta, ni un épiphénomène: il est LE phénomène. »

Ce sont là non pas des hypothèses philosophiques mais les  conclusions d’une théorie scientifique et d’un grand nombre d’expériences menées en des domaines divers. Pierre Teilhard de Chardin n’a pas inventé les principes de l’organicisme. Déjà, comme Driesh en Allemagne, le célèbre physiologiste anglais J.S Haldane avait repoussé la théorie mécaniciste de la vie et proposé de voir des phénomènes vitaux, considérant qu’en principe, ceux-ci ne pouvaient pas être décrits en termes physico-chimiques. Lloyd Morgan, rappelant le fait que les parties tiennent du tout leurs propriétés caractéristiques et qu’elles le perdent lorsque ce tout est détruit, considérait que cette dépendance constituait  la propriété principale d’un organisme proprement dit. Selon Morgan, chaque niveau observable – Electron, atome, molécule, unité colloïdale, cellule Tissu, organe, organisme pluricellulaire et société d’organismes – acquiert dans ce qu’il nomme l’ « évolution émergente », des caractères nouveaux et qui transcendent ceux des systèmes subordonnés. Le mathématicien Whitehead a défini, d’ailleurs, l’entité véritable comme un organisme dans lequel le plan de l’ensemble influe sur les caractères des systèmes subordonnés. La matière vivante n’a pas le monopole d’être une entité, au sens de Whitehead. Entre les molécules vivantes que sont les virus et les édifices moléculaires de la microphysique, les relations de structure sont assez proches pour que l’on soit en droit de considérer l’atome comme un organisme plutôt que comme une machine.

Ainsi, des principes semblables et parfois identiques émergent peu à peu de l’observation des objets dits « inanimés », des organismes, des groupes sociaux et des processus mentaux. Pour n’en citer qu’un exemple, le principe de moindre action est à l’œuvre dans des disciplines les plus éloignées, depuis la mécanique de l’électricité, sous la forme de la loi de Lenz, jusqu’aux théories des populations, selon celle de Volterra.

Dans ces conditions, les conceptions du P. Teilhard sur le phénomène spirituel, sur le processus de moralisation et de personnalisation ne sont pas suspendues dans les régions nébuleuses de l’invérifiable et elles sont le plus souvent fondées expérimentalement et scientifiquement dans le terrain neuf et fécond de l’organicisme moderne.

Si le P. Teilhard s’abstient, le plus souvent, de rappeler ces faits et ces théories, c’est qu’il les suppose connus et qu’il prête à ses lecteurs, trop généreusement parfois, une culture scientifique égale à la sienne.

Source: Les deux clés de Teilhard de Chardin par Thomas Thibert

Planète OCT / NOV 1961.

Amitiés: Claude Sarfati

Un mystique et un savant (P. Teilhard de Chardin)

La mère de ce « pèlerin de l’absolu », Berthe-Adèle de Dompierre d’Hornoy (1853-1936), d’origine picarde, était l’arrière-petite-nièce de Voltaire. Son père, Alexandre-Victor-Emmanuel Teilhard de Chardin (1844-1932), chartiste et naturaliste, avait eu l’honneur de découvrir, après de minutieuses recherches, LA SEULE LETTRE dictée par Jeanne d’Arc, et portant la signature de celle-ci, graphisme que l’on ignora jusqu’à l’époque de cette trouvaille singulière.

En avril 1892, Pierre Teilhard de Chardin, un mois avant d’avoir onze ans, entra au collège des Jésuites, à Villefranche-sur-Saône. Son professeur d’humanités devait y être, un peu plus tard, Henri Brémond. Le futur académicien remarqua l’intelligence, mais aussi l’impassibilité bizarre de ce petit Auvergnat. « Je n’ai su que longtemps après le secret de cette indifférence apparente, avoue Brémond. Il avait une autre passion, jalouse, absorbante, qui le faisait vivre loin de nous: les pierres ».

Dans l’excellent ouvrage de l’abbé Paul Grenet, « Teilhard de Chardin, un évolutionniste chrétien« , l’auteur, étudiant les contrastes si accusés de son héros, a intitulé l’un des paragraphes de ce livre, « Du Dieu Fer au Dieu Esprit« , cette comparaison de la psychologie religieuse du P. Teilhard à celle d’un primitif qui pressent que le Fer, le Quartz, la Flamme sont en parenté lointaine avec l’Esprit, va peut-être à de plus vastes profondeurs qu’à celles d’un culte enfantin.

Ce prophète, ce poète, mène de front deux combats: il entreprend la conquête des vérités intérieures et célestes non pas loin du monde mais dans le monde, au cœur même de la matière terrestre, en un contact constant avec les puissances primordiales de la Nature. Ce mystique est un géologue, un paléontologue, un savant explorateur de la terre et du temps. Onze ans de recherches en Europe. Puis, durant dix années l’Asie où il va découvrir des données fondamentales de l’histoire d’un continent. Partant de Tien-T’sin, comme base de rayonnement, il explore les Ordos, la Mongolie Orientale, la Mandchourie. Avec Licent, il découvre, dès 1923, les preuves de l’existence de l’homme paléolithique en Chine. Après ce décennat limité géographiquement à l’aire chinoise septentrionale, quinze autres années verront le P. Teilhard descendre vers les zones asiatiques méridionales. Il s’agit d’établir l’équivalence géologique et chronologique des couches à Sinanthrope de la Chine du nord avec les couches à Pithécanthrope de Java. Il faut, en quelque sorte, « faire le pont », selon l’expression du P. Teilhard, dans une de ses conférences, entre la Chine et le reste de l’Asie, entre les étapes quaternaires des diverses régions. De l’âge de cinquante-deux ans à l’âge de soixante-cinq ans, le P. Teilhard va explorer après le site de Chou-Kou-Tien, la vallée du Yang-Tsé jusqu’au Tibet, le Cachemire, la Birmanie, Java (1933-1946). Attaché au service géologique de Chine et à la fondation Rockefeller, le P. Teilhard avait entrepris, dés 1927, les premières excavations, avec une équipe de savants chinois, anglais, américains et hollandais, dans la colline de Chou-Kou-Tien. La nuit de noël 1929, dans une fissure pétrie de dépots paléontologiques, l’Homme des terres Rouges, vieux de près d’un million d’années, le Pekinensis Sinanthropus, fut enfin « saisi au gîte », c’est-à-dire dans son environnement: cendres, os calcinés, pierres taillées, « homo sapiens » déjà, car auteur de traces de feu et d’une industrie lithique. Ce chasseur savait tailler les cristaux de quartz. La paléontologie tenait enfin le premier habitant humain de la Chine. Douze ans plus tard, les précieux fossiles de Chou-Kou-Tien furent confiés à la garnison américaine qui, en raison du conflit sino-japonais, évacuait Pékin et s’embarquait à Tchingwangtao sur le « Président Harrison ». Le bateau fut arraisonné, les biens saisis, la garde américaine arrêtée. Les caisses « A » et « B » disparurent. Avec elles, le Sinanthrope dont nul n’a jamais su, depuis 1941, ce qu’il est devenu. Tout n’est pas clair en ce siècle des lumières. Si, dans un million d’années, une équipe de paléontologues-grenouilles découvre le Pekinensis Sinanthropus dans la vase, elle se posera sans doute d’insolubles problèmes.

Source: Les deux clés de Teilhard de Chardin par Thomas Thibert

Revue PLANETE OCT/NOV 1961

Amitiés: Claude Sarfati

Pierre Teilhard de Chardin

Il n’y a aucune sorte de doute: jusqu’à ce jour, l’apport le plus important à la philosophie du xx° siècle a été fourni par Pierre Teilhard de Chardin, mystique et savant, condamné au demi-silence par l’église, et dont l’œuvre posthume ne nous est pas encore connue dans sa totalité. Thomas Thibert est né en 1903 à Hong-Kong, d’une famille alsacienne établie en Extrême Orient. Spécialiste des religions orientales et extrême-orientales, il prépare depuis plusieurs années un ouvrage consacré à l’histoire de la philosophie taoïste. Il est un fervent admirateur de l’œuvre et de la pensée de Pierre Teilhard de Chardin qu’il considère comme le plus grand philosophe français de notre temps, « précisément, nous écrit-il, parce que Teilhard n’est pas un spécialiste de la philosophie, mais un sage et un savant ». Nous avons demandé à Thomas Thiebert de nous dire qu’elles étaient selon lui, les clés de l’œuvre de Teilhard et d’analyser un document encore inédit, daté de mars 1937, et intitulé « Le Phénomène Spirituel« .

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L’intelligence d’un grand savant et l’âme d’un prêtre inspiré peuvent-elles, en mesurant mieux les conditions et les limites d’une double vocation, terrestre et céleste, accéder à une conscience nouvelle de l’évolution humaine et découvrir enfin une synthèse véritable entre les exigences de la raison et les espérances de la foi?

Les deux voies, scientifique et mystique, encore divergentes, de la pensée occidentale sont-elles à la veille de mener notre civilisation à la convergence d’un surrationalisme subtil où l’évidence et le mystère, infiniment fondus au cœur même du réel, nous dévoileraient des relations plus profondes entre les lois et la grâce, entre le hasard et la providence, entre les phénomènes matériels et Le phénomène spirituel?

A ces questions fondamentales répondent la vie et l’œuvre de Pierre Teilhard de Chardin. L’une demeure encore ignorée de la foule; l’autre, connue d’une élite, n’a pas été intégralement publiée et les ouvrages parus se sont vu opposer, pour la plupart, durant des années, la censure des autorités ecclésiastiques. Rome estimait, semble-t-il, que la vision teilhardienne du christianisme était prématurée ou incomplète et qu’elle ne pouvait être diffusée sans inconvénients. Le règne de Dieu ne peut être annoncé à l’homme de façon imprudente et soudaine. On demanda au P. Teilhard d’y travailler et de se taire…

C’est sur l’Océan mystérieux des énergies morales à explorer et à humaniser que s’embarqueront les plus hardis navigateurs de demain. Tout essayer, et tout pousser à bout dans la direction d’une plus grande conscience, telle est, dans un Univers en état de transformation spirituelle, la loi générale et suprême de la moralité: limiter la force (à moins que ce ne soit pour obtenir par là plus de force encore), voilà le péché. TEILHARD DE CHARDIN

Source: Les deux clés de Teilhard de Chardin par Thomas Thibert

Revue PLANETE  OCT/ NOV 1961

Amitiès: Claude Sarfati

Evolution de la nourriture

GURDJIEFF ELEVES

L’homme est une usine à trois étages. Nous avons dit qu’il y a trois sortes de nourriture, entrant par trois portes différentes. La première sorte de nourriture est ce que l’on appelle ordinairement « nourriture », pain, viande, etc.

Chaque sorte de nourriture est un do. Dans l’organisme, le do passe à la note suivante. Chaque do a la possibilité de passer à dans l’estomac, où les substances de la nourriture changent de vibrations et de densité, se transforment chimiquement, se mélangent, et, sous l’actions de certaines combinaisons, passent à . a lui aussi la possibilité de passer à mi. Mais mi ne peut évoluer par lui-même : c’est la nourriture de la seconde octave qui lui vient en aide. Le do de la seconde sorte de nourriture, c’est-à-dire de l’air, aide le mi de la première octave à passer à fa, après quoi l’évolution peut se poursuivre. En un point similaire, la seconde octave à son tour a besoin de l’aide d’une octave plus élevée. Elle est aidée par une note de la troisième sorte de nourriture — l’octave des impressions.

Ainsi la première octave évolue jusqu’à si. La substance la plus fine que l’organisme humain puisse produire à partir de ce qui est habituellement appelé nourriture est si. L’évolution d’un morceau de pain va donc jusqu’à si. Mais si ne peut pas se développer davantage chez un homme ordinaire. Si la note si pouvait évoluer et passer au do d’une nouvelle octave, il serait possible de construire un nouveau corps au-dedans de nous. Mais pour cela, des conditions particulières sont nécessaires. L’homme, par lui-même, ne peut devenir un nouvel homme ; des conditions intérieures spéciales sont requises.

Georges Ivanovitch Gurdjieff

Gurdjieff parle à ses élèves (pages 261, 262)

Editions du ROCHER

 

Amitiés

 

Claude Sarfati