L’éternité et un jour (Theo Angelopoulos)

Le 24 janvier, le cinéaste Theo Angelopoulos a été fauché par un motard en plein tournage de son dernier film, L’Autre Mer, consacré à la faillite de son pays. Près d’une semaine plus tard, l’opinion publique et la presse nationale restent sous le choc. Les hommages et les portraits posthumes ont inondé les médias grecs qui, à l’instar de I Kathimerini, ont dépeint un « prophète du cinéma grec qui, malgré son âge (76 ans), a voulu tourner jusqu’au bout ».écrit Ta Nea, quotidien de centre gauche. « La première ambulance est tombée en panne, puis la seconde a mis quarante-cinq minutes à arriver sur le lieu du drame. »To Ethnos, qui parle d’un « tunnel de honte de fleurs fanées » pour décrire les circonstances de ce décès. « A 19 heures, le célèbre réalisateur s’est fait renverser par une moto sur le tournage de son film. Les urgences ont été appelées sur le champ, mais le temps – si lent dans ses films ! – n’a pas joué en sa faveur », poursuit le journal. Mis en cause par tous les médias, les services d’urgence se sont justifiés par le manque de personnel et de moyens.

Source: Le courrier international

 

 

Un grand écrivain et poète grec vit ses derniers jours et retrouve, en faisant un chemin personnel facilité par la rencontre d’un jeune garçon vagabond, les moments forts de sa vie.

Le rythme lent, illustré par les longs plan-séquences, est celui d’un homme qui doucement, perd la vie, mais grâce aux mots qu’il achète à l’enfant, retrouve sa mémoire et l’amour de la femme qu’il a perdue.

 

 

Demain….ça dure combien de temps?

Un artiste célèbre à l’œuvre inachevée. Un enfant en exil qui devient son ami. Une femme en mémoire qu’il entend et qui l’écoute. Un pays glorifié avec une fierté poétique.

L’éternité et un jour

« L’éternité est l’anagramme d’étreinte » (Henry de Montherlant)

Etreinte de la poésie. Un ancien poéte Grec qui achetait des mots aux passants. Etreinte de l’amour que l’on partage si mal. Etreinte du silence entre deux mots douloureux. Etreinte de la mort où l’on redevient enfant.

Theo tu étais poéte, peintre, musicien, cinéaste… Eternel exilé dans un pays que tu aimais comme la mer qui est un destin venant de l’infini dans une vague mémoire de l’univers.

Athènes…Paris, ça dure pas bien longtemps…

La souffrance défile dans la rue chaque jour. Ici, ça n’intéresse pas, le silence est mortel.

La Grèce ne produit pas de séries mondialisées. Rien à télécharger, rien à vendre.

Notre existence se trouve entre deux éternité. (Timée)

Tu as rejoins l’autre rive Théo. La vague du destin t’emporte vers cette  « autre » éternité.

Nous restons avec le jour d’après, la poésie, la musique, le cinéma. Nous achetons des mots à crédit à des exilés du cœur invisibles pour t’accompagner un peu et te remercier. Passé, présent, futur, un temps compté qui n’est plus le tien.

Le temps c’est le péché de l’éternité. (Paul Claudel)

Amitiés: Claude Sarfati

 

Le désir est un exil (Arnaud Desjardins)

Voici un extrait d’un livre d’Arnaud Desjardins, suivi d’un enregistrement avec Swami Vijayananda

…Le désir est un exil. Il ne vous permet pas de demeurer immobiles en vous-mêmes. Si vous voulez méditer, vous constaterez la pression des associations d’idées ; tôt ou tard, vous serez arrachés à cette méditation et la demande réapparaîtra aussi forte. Alors, que pouvez-vous faire pour accomplir ce désir ?

Examinez un désir plus circonstancié, moins important que celui de rencontrer le compagnon de votre vie : j’ai envie de voir ce film ce soir, on m’en a parlé, ça m’intéresse. Donc je mets momentanément mon bonheur dans le fait de voir ce film ; et, si un contretemps m’empêche d’aller au cinéma, il y a quelque peu souffrance (trouvez un exemple qui soit à peu près probant par rapport à vos propres mécanismes). Pouvez-vous aisément renoncer à voir le film et chercher le succès de votre soirée dans la seule méditation ? Après avoir pris de grandes résolutions concernant la séance de 20 heures, pour finir vous irez à la séance de 22 heures ! Ce simple désir de voir un film ne vous laisse pas « être ». Un élément adventice se rajoute à « être » : « il faut que je voie le film. » bien ! Pourquoi ce film-là plutôt qu’un autre ? Pourquoi ce soir-là ? On vous en a parlé élogieusement et il y a attirance. Aucun mouvement ne s’avère possible si une attraction ne s’exerce pas. Etre séparé du film qui vous attire est ressenti comme une souffrance ; être uni à ce qui vous attire est ressenti comme une souffrance ; être uni à ce qui vous attire est ressenti comme heureux. Vous éprouvez une tension et vous décidez donc d’aller voir le film.

Premier point : je ne gâche pas tout le trajet que je fais pour aller jusqu’à la salle en ne vivant qu’en fonction du film. Ici et maintenant, je suis en train de descendre de chez moi ; ici et maintenant, je suis en train de monter dans le métro, je suis en train de faire la queue sur le trottoir, je suis dans la salle, le film n’est pas commencé mais je sais que je suis là et pourquoi j’y suis. Voyez bien, au moment même où vous vivez un événement aussi simple, ce dont est faite votre existence. Je suis venu dans cette salle de cinéma parce que je tiens compte de ce désir mais je n’en suis plus dupe comme autrefois. Je sais que, si ce désir est bien accompli, consciemment unifié, une tension va tomber et que je vais me retrouver tout simplement en moi-même. Et la joie que je vais éprouver ne découle pas exactement du bonheur d’avoir vu le film ; c’est la joie qui émane de l’être et se révèle quand une tension a disparu.

Voilà la vraie compréhension nécessaire. Elle ne peut venir que si vous avez la véritable expérience, bhoga, de ce que vous êtes en train de vivre au lieu d’être simplement attiré par le film, de vous précipiter, d’être furieux si la séance est complète et qu’il faut attendre la suivante, de regarder le film : « ça me plaît, c’est merveilleux, je rentre chez moi, quelle belle soirée… ».

Ce n’est que sukha, l’opposé de dhukha. Vous n’avez rien vécu vraiment, cela ne peut pas vous faire progresser et le mécanisme de tension qui vous arrache à la plénitude du centre de vous-mêmes se poursuivra indéfiniment. Vous mourrez en proie à ce mécanisme.

Et, à en croire les Hindous et les Bouddhistes, cette poursuite aveugle des désirs va inévitablement continuer à vous obliger à reprendre une autre incarnation en fonction des lois du karma pour expérimenter à nouveau ce que vous avez mal vécu, jusqu’à ce qu’un jour vous le viviez enfin en pleine lumière.

En inde, on qualifie ces expériences tronquées d’upa bhoga, fausse satisfaction, correspondant non pas à ananda mais simplement à sukha : « ah, c’était réussi ! Ah, quel bonheur ! Ah, c’est merveilleux ! » Et puis ? Il n’y a rien de réel dans cette expérience. Vous êtes emportés, identifiés, et vous manquez la véritable détente qui vous ramène à votre propre soi.

Cette fausse satisfaction ne fait que mettre de l’huile sur le feu des désirs. Un désir en entraîne un autre, comme une réaction en chaîne. Une fois installé au cinéma, il vous faut absolument un esquimau. Ou vous allez peut-être remarquer à côté de vous un homme très élégamment habillé et vous aurez envie d’avoir la même veste en daim que la sienne. Vous êtes sorti ce soir pour satisfaire un désir de spectacle et voici que le simple fait d’aller au cinéma réactive maintenant en vous une vieille vasana d’élégance. Cinq sièges plus loin une femme assez belle, visiblement seule, ranime certaines rêveries : « je lui adresse la parole ? Non…Si… » Et pour couronner le tout, le film lui-même aura réveillé en vous une série de désirs d’aventure ou de possession, sans parler des publicités de l’entracte dont c’est le but avoué.

Vous allez au cinéma parce qu’une certaine tension ne vous permet pas de reposer dans votre propre plénitude, votre propre ananda ; et le simple fait d’aller au cinéma va faire encore naître une dizaine de désirs nouveaux que vous cherchez ou non à accomplir mais qui, de toute façon, vous auront encore exilés de ce complet relâchement de toutes les tensions. Ainsi va la vie : par moments heureux, par moments malheureux. Vous trouvez votre existence tantôt agréable, tantôt pénible, mais elle ne vous apporte aucune expérience réelle. Il s’agit d’une voie sans issue qui ne conduit nulle part, si ce n’est à vieillir et, le moment venu, à mourir.

Tous ces désirs ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Vous devez en tenir compte parce que c’est une entreprise dangereuse que de chercher à les nier. Mais, si vous êtes tant soit peu convaincus par la distinction que j’établis entre sukha et ananda, ces deux formes de satisfactions qui différent en qualité, au milieu de tous vos désirs grandira la nostalgie de ce silence intérieur. Vous commencerez à ressentir une réelle aspiration au bonheur non dépendant : j’ai compris que les désirs représentent une tension et comme je ne peux m’établir et demeurer que dans une situation de détente, cette tension porte en elle la nécessité de se relâcher. Me voilà donc tendu, selon la loi de l’attraction et de la répulsion. Mais je ne suis plus dupe comme je l’ai été si longtemps et je ne crois plus qu’il n’y a rien d’autre pour me conduire au bonheur que la satisfaction des désirs et la tentative d’éviter les événements malheureux ou de les faire cesser le plus vite possible. Je suis toujours à la recherche du bonheur comme je l’ai été depuis ma naissance, mais j’entreprends plus cette recherche dans la même optique…

Arnaud Desjardins

La voie du cœur (pages 209 à 212)

Editions De La Table Ronde

Bonne lecture, bon dimanche.

Amitiés: Claude Sarfati.