La montagne sacrée

« Avec La Montagne sacrée, j’ai essayé de faire un film qui aurait la profondeur d’un Evangile ou d’un texte bouddhiste, explique Alejandro Jodorowsky. J’ai voulu rompre avec tous les codes du cinéma industriel. Pas d’acteurs connus, pas d’histoire construite comme un conte, pas d’effets spéciaux, pas de dialogues théâtraux… Je pensais qu’en utilisant les véritables gens de la rue, une prostituée interprétée par une prostituée, un millionnaire par un millionnaire, un nazi par un tyran… ils parviendront à transcender leur condition au final de cette expérience cinématographique. »

Emporté par son désir d’écrire un film qui aurait la puissance d’un Evangile, Alejandro Jodorowsky a fait un voyage de quarante jours à travers le Mexique en écrivant dans chaque village une scène du film : « Petit à petit, durant les quarante jours de ce périple, avec mes ambitions mystiques diurnes et mes coïts nocturnes, je fus comme transformé en une espèce d’extra-terrestre » raconte le réalisateur.

Grand admirateur du travail d’Alejandro Jodorowsky et notamment son précédent film El Topo , l’ex-Beatles John Lennon et sa compagne Yoko Ono ont largement participé au financement de La Montagne sacrée.

Le tournage de La Montagne sacrée à Mexico s’est déroulé sans autorisation. Afin de bloquer la circulation pour permettre les prises de vue, l’équipe utilisa un acteur habillé en policier : « Le Ministre du Gouvernement m’appela en me menacant de mort si j’utilisais encore des uniformes ou si je m’attaquais à l’Eglise, raconte le réalisateur. J’ai quitté précipitamment le Mexique avec tout le matériel. Je me suis alors installé à New York pour y monter le film et enregistrer la musique. Longtemps après, je fus reçu au Mexique par un ministre qui me félicita et me confia que La Montagne sacrée avait été sélectionnée avec d’autres films pour représenter le pays autour du monde. Dans cette liste figurait à mes côtés certains films du réalisateur Emilio Fernandez qui, des années auparavant, avait juré de me tirer dessus ! »

Pendant de nombreuses années, les droits de El Topo et de La Montagne sacrée furent détenus par l’homme d’affaires Allen Klein (collaborateur des Rolling Stones et des Beatles). Suite à un conflit avec Alejandro Jodorowsky, la distribution de ces films ne fut plus assurée jusqu’en 2006.

La Montagne sacrée est librement inspiré du roman inachevé du poète René Daumal, Le Mont Analogue.

Ce film devenu « culte » d’Alejandro Jodorowsky a été présenté en avant-première Hors Compétition au Festival de Cannes en 1973.

Il est paru en 2007 un coffret: L’univers de Alejandro Jodorowsky, réunissant: Fando et Lis, El topo, La montagne sacrée, le tout dans une version remastérisée par l’auteur lui-même.

Un artiste « total »

Né à Iquique, dans le nord du Chili le 02 février 1929, Alejandro Jodorowsky s’installe à Santiago dès l’âge de 12 ans.

Après deux ans de philosophie et de psychologie, il suit une carrière artistique, fonde une troupe de marionnettes et entreprend des tournées au Chili.

En 1953, il émigre en France et étudie le mime avec ?tienne Décroux puis Marcel Marceau pour lequel il écrit quelques pantomimes célèbres, comme « La Cage », « Le Fabricant de Masques » et « L’épée du Samouraï ».Jodorowsky noue des liens avec des artistes passionnés de spiritualité, d’art et de surréalisme.

En 1962, il co-fonde le mouvement Panique avec Fernando Arrabal et Roland Topor.

En 1965, il part pour le Mexique et y restera dix ans. ? Mexico il crée le « Théâtre d’avant-garde » où il met en scène des oeuvres de Strindberg, Ionesco, Arrabal, Beckett, Shakespeare et Nietzsche. C’est également au Mexique que Jodorowsky s’initie à la bande dessinée avec Fabuls Panicas. Il crée en 1967 sa propre société, Producciones Pánicas, pour réaliser son premier film, une version dalíesque de la pièce d’Arrabal, Fando et Lis, fable moderne, dans laquelle deux jeunes gens sont à la recherche d’une cité mythique où tous leurs voeux seraient exaucés. Sur leur chemin, ils ne rencontreront que corruption et folie.

Sélectionné au Festival du Film d’Acapulco, il y provoque un véritable scandale.

Après avoir réalisé El Topo et La Montagne sacrée respectivement en 1970 et 1973, il rentre en France en 1975. Alejandro Jodorowsky travaille alors avec Moebius sur le story-board de « La Planète des Singes » et l’adaptation de Dune de Frank Herbert, mais le projet est abandonné, faute de moyens. Dino de Laurentiis rachètera les droits du roman que réalisera David Lynch. En 1979, Jodorowsky réalise Tusk, un film qui conte le destin d’Elise, jeune orpheline vivant en Inde, qui rencontre Tusk, un éléphanteau né le même jour qu’elle. Il crée ensuite en collaboration avec Moebius le personnage de John Difool, héros de la saga de « L’Incal« . Il débute alors une série de performances connue sous le nom de Cabaret mystique en 1981, one man show hebdomadaire au cours duquel, devant un parterre d’inconditionnels, celui qui se surnomme lui-même le Raymond Devos du mysticisme tire le tarot, raconte des blagues métaphysiques et commente les arbres généalogiques.

Il réalise en 1989 Santa Sangre, l’histoire d’un jeune homme traumatisé dans son enfance, et enfermé dans une institution psychiatrique. Fable psychanalytique sur fond de mystique chrétienne et de paganisme, Santa Sangre est un poème cru et scabreux, magnifique et perturbant.

L’année suivante, il dirige Peter O’Toole, Omar Sharif et Christopher Lee dans Le Voleur d’arc-en-ciel.

En 1993, il écrit « La Vérité est au Fond des Rêves » pour Jean-Jacques Chaubin, ainsi que « La Guerre de Megalex » pour Katsuhiro Otomo.

Jodorowsky reçoit à Angoulême l’Alph’art du Meilleur Scénario en 1996 pour le premier volume de sa nouvelle série avec Georges Bess, « Juan Solo ».En 1999, il poursuit « Megalex » avec Fred Beltran, et Angoulême consacre à Jodorowsky un étage de son théâtre, où l’oeuvre d’une vie est résumée en une dizaine de scènes, couvrant aussi bien son travail de cinéaste, de scénariste de bande dessinée, de romancier que de poète mystique.

…à suivre.

« cinemoovie »

La « Restauration » du Tarot de Marseille

En 1997, paraît un Tarot de Marseille signé par Jodorowski et Philippe Camoin.

Philippe Camoin est le dernier héritier des Maîtres Cartiers marseillais… La Maison CAMOIN remonte à Nicolas CONVER qui grave en 1760 son Tarot de Marseille en perpétuant la tradition de maîtres beaucoup plus ancien dont François Chosson (1672) est un exemple. Au XIXe siècle, la Maison Camoin recueille la tradition de tous les maîtres cartiers marseillais et devient l’unique à Marseille.

je ne suis pas expert en la matière, il existe à ce sujet des points de vues divergeants. Pour approfondir la connaissance historique du (ou des) Tarots de marseille, on peut visiter le site de Corinne Morel,JC Flornoy, d’Alain Bougearel, le fameux site TRIONFI, etc.

Alexandro Jodorowsky a publié (éditions Albin Michel) «La Voie du Tarot», aidé par Marianne Costa, qui a recueilli soigneusement une foule de renseignements qu’Alexandro dispense dans ses conférences publiques, leçons diverses et dans ses cours. Il en résulte une véritable somme, très attendue il faut bien le dire.

Tout en commençant par raconter une partie de sa vie et sa rencontre avec les Arcanes, Jodorowsky explique les origines des cartes. Il tire le parallèle avec l’arbre des sephirots réunis par 22 chemins de vie, chiffre identique aux 22 arcanes majeurs du Tarot. Il décrit également ses diverses recherches, sa mémorisation soigneuse de tous les détails des cartes.

Vint la rencontre avec Philippe Camoin, le dernier héritier de la tradition des maîtres cartiers marseillais. Jodorowsky raconte comment son idée de thérapie à la rencontre du père (Philippe Camoin a perdu son père dans un accident) est devenu une ?uvre sacrée de restauration du Tarot de Marseille. Les obstacles, paraissant insurmontables, ne sont pas cachés.

Le souvenir d’un très ancien jeu, qu’un antiquaire avait voulu vendre à Jodorowsky, resurgit et, comme par miracle, ce jeu peint à la main fut retrouvé chez le descendant de l’antiquaire, au Mexique.

Le fil d’Ariane pouvait se dérouler et révéler les trésors que l’on croyait perdus.

Le livre «La Voie du Tarot» donne des explications sur la structure globale et spatiale du jeu. Il détaille également les correspondances numérologiques. Il consacre ensuite un chapitre complet à chaque arcane en donnant des clés pour certains détails, en particulier ceux qui sont réapparus et qui ne se trouvent pas dans les anciens jeux. Des mots-clés, des interprétations traditionnelles complètent l’explication. La structure et la signification des arcanes mineurs sont également clairement exposées. Des exemples de tirages sont donnés, tout en tenant compte de la particularité de la méthode qu’utilise Jodorowsky: en tant que créateur, il invente des tirages pratiquement pour chaque interlocuteur. Il utilise sa créativité et son intuition pour obtenir un reflet adapté à son consultant.

Ce foisonnement expose une manière très ouverte d’appréhender le Tarot de Marseille restauré, de l’apprendre et de l’utiliser. Nul doute que La Voie du Tarot est devenu une référence.

Alexandro Jodorowsky ne cache pas que cette restauration a constitué également une cruelle épreuve. Lui qui connaissait tous les arcanes, les avait intégrés dans ses interprétations, devait se résoudre à admettre de profonds changements.

Par exemple, dans le Tarot de Paul Marteau, le Pendu (arcane XII) n’est pas attaché par un pied, par contre il l’est dans le Tarot restauré, «je dus passer d’un personnage qui avait librement décidé de ne pas agir à un autre qui recevait ses liens comme une loi cosmique contre laquelle il ne pouvait se rebeller, ce qui signifiait que la liberté, pour lui, était d’obéir à la Loi». L’auteur donne d’autres exemples.

«Dans la Maison Dieu apparurent trois marches initiatiques et une porte, ce qui impliquait que les deux personnages ne tombaient pas mais sortaient joyeusement de leur propre volonté… »

De son côté, Philippe Camoin a participé à cette reconstitution en tant qu’héritier d’une tradition. Pour lui cette démarche fut une initiation, elle l’est certainement encore.

Il a rencontré dans de nombreux pays un intérêt croissant pour le Tarot de Marseille restauré avec des attachements très forts au Japon ou en Espagne. Il donne une partie de ses cours dans l’abbaye de Saint-Maximin, dans le Sud de la France.

Ecoutons Alejandro Jodorowski raconter le Tarot de Marseille…

 

Arthur Rimbaud

rimbaud

Jean-Nicolas-Arthur Rimbaud naît à Charleville le 20 octobre 1854, meurt à Marseille le 20 novembre 1891.

Les Poètes de sept ans

à  M. P. Demeny.

Et la mère, fermant le livre du devoir,s’en allait satisfaite et très fière sans voir,

dans les yeux bleus et sous le front plein d’éminences,l’âme de son enfant livrée aux répugnances.

Tout le jour, il suait d’obéissance; très Intelligent; pourtant des tics noirs, quelques traits semblaient prouver en lui d’âcres hypocrisies.

Dans l’ombre des couloirs aux tentures moisies,en passant il tirait la langue, les deux poings à l’aine, et dans ses yeux fermés voyait des points.

Une porte s’ouvrait sur le soir : à la lampe on le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe,sous un golfe de jour pendant du toit.

L’été surtout, vaincu, stupide, il était entêté à se renfermer dans la fraîcheur des latrines: Il pensait là, tranquille et livrant ses narines.

Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet derrière la maison, en hiver, s’illunait, gisant au pied d’un mur, enterré dans la marne.

Et pour des visions écrasant son oeil darne, il écoutait grouiller les galeux espaliers.

Pitié ! Ces enfants seuls étaient ses familiers Qui, chétifs, fronts nus, oeil déteignant sur la joue,cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue Sous des habits puant la foire et tout vieillots, conversaient avec la douceur des idiots !

Et si, l’ayant surpris à des pitiés immondes,sa mère s’effrayait; les tendresses, profondes,

de l’enfant se jetaient sur cet étonnement. C’était bon. Elle avait le bleu regard, – qui ment !

-à sept ans, il faisait des romans, sur la vie du grand désert, où luit la Liberté ravie,forêts, soleils, rios, savanes !

– Il s’aidait de journaux illustrés où, rouge, il regardait des Espagnoles rire et des Italiennes. Quand venait, l’oeil brun, folle, en robes d’indiennes,

– Huit ans, – la fille des ouvriers d’à côté,la petite brutale,et qu’elle avait sauté, Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses,Et qu’il était sous elle, il lui mordait les fesses,Car elle ne portait jamais de pantalons;

– Et, par elle meurtri des poings et des talons,remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre. Il craignait les blafards dimanches de décembre,où, pommadé, sur un guéridon d’acajou, Il lisait une Bible à la tranche vert-chou ; Des rêves l’oppressaient, chaque nuit, dans l’alcôve.

Il n’aimait pas Dieu; mais les hommes, qu’au soir fauve,noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg Où les crieurs, en trois roulements de tambour, Font autour des édits rire et gronder les foules.

– Il rêvait la prairie amoureuse, où des houlesLumineuses, parfums sains, pubescences d’or, font leur remuement calme et prennent leur essor !

Et comme il savourait surtout les sombres choses, Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,Haute et bleue,âcrement prise d’humidité,

Il lisait son roman sans cesse médité,plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées, de fleurs de chair aux bois sidérals déployées,vertige, écroulement, déroutes et pitié !

– Tandis que se faisait la rumeur du quartier,

En bas, – seul et couché sur des pièces de toile écrue,

et pressentant violemment la voile !

A. R.26 mai 1871

Amitiés

Claude Sarfati

Lettre du Voyant

Première lettre dite « du voyant »

Georges Izambard ; 27, rue de l’Abbaye-des-Champs, à Douai (Nord)

Charleville, 13 mai 1871.

Cher Monsieur

Vous revoilà professeur. On se doit à la Société, m’avez-vous dit; vous faites partie des corps enseignants : vous roulez dans la bonne ornière. – Moi aussi, je suis le principe : je me fais cyniquement entretenir;

je déterre d’anciens imbéciles de collège : tout ce que je puis inventer de bête, de sale, de mauvais, en action et en parole, je le leur livre : on me paie en bocks et en filles. Stat mater dolorosa, dum pendet filius.

– Je me dois à la Société, c’est juste, – et j’ai raison. – Vous aussi, vous avez raison, pour aujourd’hui.

Au fond, vous ne voyez en votre principe que poésie subjective: votre obstination à regagner le râtelier universitaire, – pardon! – le prouve ! Mais vous finirez toujours comme un satisfait qui n’a rien fait, n’ayant voulu rien faire.

Sans compter que votre poésie subjective sera toujours horriblement fadasse. Un jour, j’espère, – bien d’autres espèrent la même chose, – je verrai dans votre principe la poésie objective, je la verrai plus sincèrement que vous ne le feriez!

– Je serai un travailleur : c’est l’idée qui me retient, quand les colères folles me poussent vers la bataille de Paris – où tant de travailleurs meurent pourtant encore tandis que je vous écris! Travailler maintenant, jamais, jamais ; je suis en grève.

Maintenant, je m’encrapule le plus possible. Pourquoi? Je veux être poëte, et je travaille à me rendre voyant : vous ne comprendrez pas du tout, et je ne saurais presque vous expliquer.

Il s’agit d’arriver à l’inconnu par le dérèglement de tous les sens. Les souffrances sont énormes, mais il faut être fort, être né poëte, et je me suis reconnu poëte. Ce n’est pas du tout ma faute.

C’est faux de dire : Je pense : on devrait dire : On me pense. – Pardon du jeu de mots.

JE est un autre. Tant pis pour le bois qui se trouve violon, et nargue aux inconscients, qui ergotent sur ce qu’ils ignorent tout à fait!

Vous n’êtes pas enseignant pour moi. Je vous donne ceci : est-ce de la satire, comme vous diriez? Est-ce de la poésie? C’est de la fantaisie, toujours.

– Mais, je vous en supplie, ne soulignez ni du crayon, ni trop de la pensée :

Le Coeur supplicié

Mon triste coeur bave à la poupe….

Mon coeur est plein de caporal !

Ils y lancent des jets de soupe,

Mon triste coeur bave à la poupe…

Sous les quolibets de la troupe

Qui pousse un rire général,

Mon triste coeur bave à la poupe

Mon coeur est plein de caporal !

Ithyphalliques et pioupiesques

Leurs insultes l’ont dépravé ;

A la vesprée, ils font des fresques

Ithyphalliques et pioupiesques ;

 flots abracadabrantesques,

Prenez mon coeur, qu’il soit sauvé !

Ithyphalliques et pioupiesques

Leurs insultes l’ont dépravé !

Quand ils auront tari leurs chiques,

Comment agir, ô coeur volé ?

Ce seront des refrains bachiques

Quand ils auront tari leurs chiques :

J’aurai des sursauts stomachiques

Si mon coeur triste est ravalé !

Quand ils auront tari leurs chiques,

Comment agir, ô coeur volé ?

………………………..

Ca ne veut pas rien dire. REPONDEZ-MOI : chez M. Deverrière, pour A. R. Bonjour de coeur,

ARTH. RIMBAUD